On a beau incarner l’élite de l’économie globalisée, on n’échappe pas à l’obligation de respecter les règles élémentaires de l’État de droit. La justice japonaise soupçonne Carlos Ghosn, président de l’alliance Renault-Nissan, de fraude fiscale.
Le Conseil d’administration du groupe Nissan a annoncé, lundi 19 novembre, qu’il proposera que M. Ghosn quitte sa fonction de président (non exécutif).
Dans un communiqué, le groupe japonais a déclaré que M. Ghosn a « pendant de nombreuses années déclaré des revenus inférieurs au montant réel » ; qu’en outre, il pratiquait« de nombreuses autres malversations , telles que l’utilisation de biens de l’entreprise à des fins personnelles ».
Carlos Ghosn n’est pas unique en son genre
Cette information en rappelle d’autres : le 23 avril dernier, une autre figure du capitalisme français, l’homme d’affaires Vincent Bolloré – connu pour sa « success story africaine » – avait été placé en garde à vue, dans le cadre d’une enquête sur les conditions d’octroi de concessions portuaires en Guinée et au Togo en 2010…
Malgré le volontarisme affiché – au niveau national et international, par les organisations (inter)étatiques comme par les entreprises – en matière de lutte contre la corruption, ce type de pratique perdure, à cause notamment de la difficulté à saisir ce phénomène multiforme, difficilement mesurable et quantifiable. La corruption économique – même lorsqu’elle implique des responsables politiques – recouvre un nombre très varié de situations.
Au nom d’une logique de « bonne gouvernance » économique, la corruption est dorénavant combattue non parce qu’elle est moralement mauvaise, mais parce qu’elle est inefficiente économiquement et dangereuse pour les affaires.
Les effets de la corruption quantifiés
Ainsi, la Banque mondiale admet qu’en sapant la primauté du droit, la corruption représente « le plus grand obstacle au développement économique et au développement social » (Lutte contre la corruption, 2011 ; http://web.worldbank.org).
S’il reste difficile de quantifier le phénomène d’ « argent sale » – des chiffres variant du simple au quintuple sont présentés ; des estimations de 2 000 milliards de dollars, de 8 % du PIB mondial et bien d’autres sont avancées –, selon les estimations de la Commission européenne, la corruption coûte 120 milliards d’euros par an à l’économie de l’UE, soit 1 % de son PIB et un peu moins que le budget de l’Union (Rapport anticorruption de l’Union européenne, Bruxelles, publié le 3 février 2014, COM(2014) 38 final).
Des études officielles de la Banque mondiale (« Gouvernance et anticorruption », in Qualité de la croissance, 2002 ; World Bank, The Cost of Corruption, 2013) et de l’OCDE (Issue-Paper-Corruption-and-Economic-Growth, 2013) montrent que la corruption produit des effets négatifs sur une multitude de « canaux de croissance », tels que l’investissement, la concurrence, l’esprit d’entreprise, la redistribution des revenus ou les finances publiques.
Elle affecte en effet simultanément le volume des dépenses et des recettes publiques. Non seulement les recettes fiscales baissent mécaniquement avec le développement d’une économie parallèle. Mais la perception de la corruption des politiques affecte le consentement à l’impôt. En effet la confiance des citoyens dans leurs institutions en est une condition sine qua non.
L’enjeu est politique
Ainsi, l’enjeu de la corruption n’est pas que d’ordre économique et financier. Il est foncièrement politique. L’acceptabilité sociale des pratiques de corruption semble régresser au regard de la multiplication des mobilisations populaires contre ce fléau. Et ceci que ce soit dans les régimes « démocratiques » ou autoritaires. La corruption ne fonctionne pas seulement comme un mode économique d’accumulation des richesses. Elle offre aussi la possibilité au régime qui l’organise de constituer et d’entretenir le réseau de clientèle qui assure sa pérennité.
Face au fléau de la corruption, la meilleure arme – au-delà des dispositifs juridiques mis en place – demeure le contrôle démocratique de citoyens attentifs au respect de l’égalité devant la loi. Tout en étant exigeants en matière d’intégrité et d’exemplarité d’une élite censée être au service du bien commun.