Parler d’un retour du populisme, un bilan sur la scène politique après le 14 janvier, le bon profil d’un prochain président, le désintérêt des jeunes de la politique et des élections. Ce sont autant de sujets autour desquels Neila Charchour, militante de la société civile a donné son point de vue et bien d’autres … Interview.
leconomistemaghrebin.com:Y-a-t-il un retour du populisme plus de sept ans après le 14 janvier ?
Neila Charchour: Plus que du populisme c’est carrément du clientélisme politique « au noir ». En dehors de tout esprit démocratique, de tout principe, de toute éthique et de toute vision d’avenir pour un peuple qui aspire à la prospérité et à la dignité. Depuis sept ans que la dictature est tombée, nous ne cessons de régresser sur ce chemin houleux qu’est le chemin démocratique. Non seulement la démocratie est encore bien loin, mais de l’économie à la sécurité en passant par le chômage, tous les clignotants sont au rouge.
Même la justice transitionnelle n’a pu, sept ans après, aboutir à mener vers une réconciliation nationale. Seule capable de reconstruire la confiance.
A une année des prochaines élections, le pays ne cesse de s’engouffrer dans des eaux de plus en plus troubles. Nul n’est capable aujourd’hui de déchiffrer la scène politique et encore moins de nous présenter une vision claire à court, moyen ou long terme. Tout le monde navigue à vue avec pour seul et unique souci de se maintenir au pouvoir malgré l’état catastrophique du pays.
Comment expliquez-vous le désintérêt des jeunes vis-à-vis des élections?
Le plus grave à mon sens reste que les Tunisiens, et particulièrement les jeunes, sont totalement dégoûtés et désintéressés par la politique. Plus de 60% des électeurs n’ont jamais voté. Ce sont en majorité les jeunes de ce pays, alors qu’il s’agit de leur avenir. Je crains que le chiffre n’augmente encore et que nous nous retrouvions avec des gouvernants avec une légitimité risible. Ainsi nous aboutirions à des gouvernements de plus en plus faibles qui nous mèneront vers un chaos certain.
Contrairement à tous nos rêves d’émancipation et de progrès, seuls les islamistes et les rcdistes, sous différents déguisements, ont pu se faire une place sur la scène politique. Au lieu d’un seul parti autoritaire et clientéliste, nous nous sommes retrouvés avec une pléthore de partis théocratiques et corrupteurs moralement et financièrement. De plus, les deux sont financés par des intérêts occultes locaux et étrangers. Les deux évitent à tout prix d’installer un vrai Etat de droit et une vraie démocratie. A travers leur consensus, ils ne sont en réalité que dans un esprit de négociation « au noir » de la scène politique tunisienne.
Mais malgré tout ce que je viens de décrire, nous restons dans une certaine normalité post-révolutionnaire et je persiste donc à croire que tout va changer pour le mieux. Ce n’est qu’une question de temps.
Un peuple qui a poussé un dictateur à la fuite et qui a pu faire tomber la troïka n’est pas un peuple qui a l’intention de se laisser faire. De nature pacifique, je pense que la meilleure possibilité serait de se concentrer sur les abstentionnistes. Il faudrait, en dehors de toute personnification, les aider à établir le profil du meilleur Président de sorte qu’ils puissent reconnaître le meilleur candidat aux prochaines élections présidentielles. Celui qui saura leur redonner l’espoir, qui les convaincra qu’ils sont capables de reprendre leur avenir en main et d’être les architectes de leur destin.
Quelles sont d’après vous les qualités d’un président idéal ?
D’abord nous devons impérativement nous libérer des profils classiques. Puis, il faut définitivement assimiler la différence entre le Président de la République et le Chef du gouvernement. C’est le Chef du gouvernement qui a le plus de prérogatives et de responsabilités et qui se doit d’être d’une grande compétence et surtout d’être un connaisseur des rouages de l’Etat. C’est à lui qu’il reviendra de reconstruire la Tunisie nouvelle. A lui qu’il reviendra de remettre la croissance en marche.
Quant au Président son rôle est purement politique. En plus des affaires étrangères et de la sécurité militaire, son rôle le plus important, en cette période de transition démocratique, reste de garantir la paix et la cohésion nationale. Afin que le Chef du gouvernement puisse gouverner sereinement et efficacement en dehors des chamailleries partisanes.
En effet, la démocratie ne doit jamais être une source de division du peuple, mais une source de compétitions positives. L’objectif commun étant le bien-être du citoyen, chaque parti doit s’évertuer à présenter les meilleurs programmes et les meilleurs outils pour y parvenir.
Par conséquent le profil du futur Président devrait répondre à quels critères?
Pour motiver la jeunesse majoritaire mais dégoûtée par la politique, la première qualité et la plus importante à mon avis, c’est la jeunesse du candidat. Il est temps de faire confiance à un jeune qui connaisse et comprenne le langage des jeunes. Qui soit capable de leur rendre l’espoir et la confiance en eux mêmes afin d’éveiller leur motivation. Il doit en plus avoir une vision d’avenir qui corresponde aux attentes des jeunes. Un jeune qui ramène du sang neuf à ce pays en coupant définitivement avec l’esprit d’assistance patriarcale dominatrice.
Afin de servir d’exemple et de faire renaître l’espoir, je verrais bien un self-made-man qui, à travers l’ascenseur social, a réussi par lui-même. Quelqu’un qui a connu et fréquenté les différentes couches sociales de ce pays et parmi lesquelles il navigue à l’aise. Des couches qui pourraient s’identifier à lui et à son parcours, qu’elles soient des plus nanties ou des plus démunies. Il ne doit provoquer ni haine ni complexe mais plutôt rêve, espoir et admiration.
Les prérogatives du Président étant ce qu’elles sont, son rôle majeur sera donc un rôle très noble et purement politique. Il devra être un excellent modérateur entre les différentes forces vives de ce pays. Entre les différents partis qui n’ont pas encore atteint la maturité politique suffisante pour s’accepter et dialoguer dans le respect de leurs différences. Entre les syndicats et les patronats qui se regardent comme des ennemis alors que tous deux se doivent être les exemples et les locomotives du travail bien fait qui vise l’excellence du pays.
Vu que nos partis manquent de maturité et confondent encore patrie et parti. Vu qu’en démocratie un Président se doit d’être le Président de tous les tunisiens et non pas seulement des adhérents de son parti, il serait vraiment utile de donner une chance à un indépendant. Seul un indépendant, qui saura être neutre vis –à vis des partis, assurera la cohésion nationale qui permettra au Chef de Gouvernement de travailler sereinement et renforcera le patriotisme des Tunisiens. Sa légitimité électorale lui donnera ce pouvoir.
Bien sûr, la maîtrise des outils de communication est fondamentale. Un président qui sait communiquer avec son peuple, et surtout avec les plus jeunes, est un Président qui a déjà mérité son mandat et qui aura de fortes chances d’en gagner un second. Rien ne vaut une bonne communication, franche et sincère pour reconstruire la confiance et pour remettre un pays au travail. Quand je parle de communication, le numérique se doit d’être au centre.
Enfin j’aurais bien vu une femme dans ce profil, ce qui aurait répondu à beaucoup d’autres attentes. Mais le Tunisien est-il prêt à voter pour une femme ? A lui de décider !!
Pour résumer, le profil du Président idéal pour notre pays serait donc celui d’un jeune, self-made-man rassembleur de la jeunesse, excellent modérateur et communicateur, politiquement neutre et indépendant.
Si plusieurs candidats peuvent répondre à ce profil, c’est le charisme et le bon sens dans le classement des priorités qui tranchera entre eux. Que ceux qui se reconnaissent dans ce profil, n’hésitent pas à se présenter ! En République, chaque Tunisien est en droit de rêver, à assumer les plus hautes fonctions. Elles ne sont pas l’apanage de certains groupes politiques ou de certaines familles ou de leurs descendances. A l’ère du numérique les profils classiques sont carrément hors jeu.
Par contre du côté des électeurs, si vous retrouvez et reconnaissez ce profil parmi les candidats qui vont se présenter, vous vous devez de les soutenir et de les élire.
Comment voyez-vous la classe politique d’aujourd’hui?
La classe politique doit obligatoirement évoluer et changer pour le mieux. Les électeurs qui ont mal choisi la première fois se doivent de mieux réfléchir la prochaine fois. Les abstentionnistes se doivent de s’éveiller à leurs responsabilités citoyennes. Enfin, il est grand temps de cesser de cautionner ceux qui n’ont cessé d’échouer en nous menant vers la pauvreté et la précarité.