Kasserine, Sidi Bouzid, Tabarka, Médenine, Zarzis et tant d’autres, comme au bon vieux temps de la colonisation ou presque. C’est comme pour le tramway d’antan qui avait tout son charme et qu’on a fait disparaître.
C’est fou comme la bêtise humaine peut faire des ravages. Des contrées éloignées si l’on peut dire, et à la fois si proches, à portée de mains ; pour demain peut-être ou probablement jamais même s’il ne faut jamais dire jamais.
Et cela par la seule grâce d’un rail qu’on voudrait réconcilié avec lui-même d’abord ; avec ses usagers et ses marchandises. Ensuite, pourquoi pas, comme avant, et toujours cet avant qui nous sollicite, nous harcèle, comme pour bien nous montrer la faillite de l’après. Et c’est Anis Oueslati PDG d’une SNCFT plus sinistrée que jamais qui l’assure, comme pour nous rappeler indirectement le lègs de ce Weld el Akri que nous avons tellement honni, mais qui a quand même laissé des traces sur cette vieille et si bonne terre. Pas forcément toutes mauvaises comme toutes ces lignes du profit qu’on a abandonnées et auxquelles on aurait pu redonner vie.
Des lignes qui pourraient nous faire tellement de bien si elles étaient réhabilitées. L’espoir devrait venir des bailleurs de fonds étrangers, encore faudrait-il réussir à convaincre ; coût de l’opération rénovation-extension, 3,7 milliards de dinars à trouver nous explique M. Oueslati. Ce n’est pas la première fois qu’on s’en remet aux sous des autres et que le train des réformes reste à quai, et pas seulement parce que l’argent manque.
On aura beau crier, vociférer pour que nos vieilles machines usées par le temps fassent l’effort de partir et d’arriver à l’heure. Il y aura toujours un chien pour aboyer et un train qui prendra tout son temps en sauvant l’essentiel, à savoir, siffler et ronfler comme aux jours heureux de jadis.
Bien sûr, je n’ai nullement l’intention de revenir aux débats de circonstance qui de temps à autre, s’incrustent dans le paysage d’ex-colonisés, au gré de l’actualité du moment, et qui à chaque fois, suscitent passions et fureur sur la question de savoir si l’occupant a bien humilié l’occupé, et sur toute la ligne… Le colonisateur et le colonisé revu à la loupe. Il n’y a pas mieux que cet écorché d’Albert Memmi pour le faire… Toutes ces lignes délaissées et livrées aux herbes folles ; toutes ces gares qui ont perdu de leur superbe quand elles n’ont pas été démolies pour laisser la place à des formes architecturales sans cachet, sans âme, comme cette gare de Tunis qui a fait son temps ; toute cette effervescence liée au rail qui s’est arrêtée ; toutes ces vies bouleversées…
Mais comment peut-on oser revoir le budget du ministère du Transport à la baisse et en même temps solliciter le bon vouloir des autres ? Cela fait longtemps qu’en certains lieux, on entend plus siffler ce cher bon vieux train qui à chacun de ses passages apportait un souffle de vie.
On comprend mieux pourquoi le train pour Sidi Bouzid City ne partira pas et que du fond de sa tombe, feu Mohamed Bouazizi devra encore un peu patienter avant de voir sa chère ville arrimée au reste d’un pays qui n’a pas su le retenir.
Entre mont et vallée de la mort, Kasserine attend toujours son heure, alors que Médenine ploie sous le soleil brûlant en attendant la manne salvatrice ; à Zarzis, la lueur viendra si Dieu le veut, du port de toutes les espérances. Dans toutes ces cités perdues, l’espoir ne meurt jamais même si le désespoir guette à chaque coin et recoin, mieux, il fait vivre ; quand on consentira vraiment à siffler le départ… Le train de la dignité retrouvée aura beau se faire désirer.