L’écrivain algérien Boualem Sansal a écrit un article publié dans le New York Times du 8 mai 2017 dans lequel on lit : « Il y a du nouveau en France: un nouveau système pour désigner le président de la République. Ni plus réellement une démocratie, ni une dictature, c’est quelque chose qui n’a pas encore de nom. Un acronyme ou un mot porte-manteau construit de ‘démocratie’, ‘dictature’ et ‘ploutocratie’ ferait bien l’affaire.
Le mécanisme fonctionne ainsi : des patrons de grands groupes financiers, industriels et commerciaux, ainsi que d’éminents conseillers habitués de l’Elysée, de Matignon et de Bercy ont choisi le futur président de la République — Emmanuel Macron, en l’occurrence — et l’ont instruit de sa mission. Ensuite ces oligarques ont mobilisé l’Etat, le gouvernement, la justice, les médias, les communicants, les artistes, les cachetiers, les sondeurs, les sociétés de Paris et les grands noms de la société civile pour le porter à la magistrature suprême. La machine s’est mise au travail et en un tour de piste a fait de l’impétrant le candidat du peuple, le favori, le héros indépassable. Lui-même en est devenu convaincu. »
Il ne croit pas si bien dire l’ami Boualem Sansal. Il a décrit la chose avec une telle finesse, une telle perspicacité et une telle exactitude qu’on jurerait qu’il était présent à cette grande manœuvre de l’oligarchie française qui visait à placer son homme à l’Elysée.
Une fois en place, et après s’être frotté les yeux une multitude de fois, le jeune homme a fini par se convaincre qu’il était le président de la République française. Il s’est aussitôt retroussé les manches pour commencer le travail dont il est chargé.
Le jeune président a tout de suite démontré qu’il était digne de la confiance de ceux qui l’ont choisi. Ses deux premières mesures ont signifié aux Français avec une clarté choquante qu’il est là pour une mission bien précise : prendre de l’argent aux pauvres qui n’en ont pas tellement besoin pour le donner aux riches qui en ont un impérieux besoin. Comment peut-il en être autrement quand on supprime simultanément l’impôt sur la fortune qui permet aux riches de garder dans leurs coffres des milliards d’euros, et de réduire de 5 euros l’APL (Aide Personnalisée au Logement) qu’accorde l’Etat aux ménages modestes et aux démunis ?
Convaincu que ce qui est bon pour les riches est bon pour l’ensemble du peuple, Macron a multiplié les mesures et les décisions satisfaisantes pour les nantis et assommantes pour la majorité. Il a été si loin dans son zèle au service de l’oligarchie que même le journal ‘Le Figaro’ a été scandalisé : « Il a cédé à la démesure en mettant en place un pouvoir autoritaire, technocratique et arrogant qui a multiplié les abus et affiché son mépris envers les citoyens, les élus, les savants et les médias », lit-on dans ce journal très conservateur.
La démesure l’a visiblement aveuglé et assourdi au point qu’il n’a ni vu ni entendu la colère qui grondait et les vagues de contestation qui écumaient. Il a fallu près d’un mois de contestations qui, par moments, avaient pris la forme d’une guérilla urbaine pure et simple, pour que « le président des riches » se réveille enfin et se rende compte de l’étendue du désastre que la démesure de sa politique a provoqué.
C’est un Macron qui a laissé son arrogance, son autoritarisme et son mépris au vestiaire que les Français ont vu le 10 décembre au journal de 20 heures. Un Macron humble et dans ses petits souliers qui, contraint et forcé, a fini par reconnaître : « Nous voulons une France où on peut vivre dignement de son travail, sur ce point nous sommes allés trop lentement ».
Ayant acquis la certitude que la répression du mouvement des « Gilets jaunes » ne fera que mettre de l’huile sur le feu, Macron a pris, la mort dans l’âme, un certain nombre de mesures populaires, mais contraires à ses convictions et sa mission oligarchique, qu’il a annoncées lundi soir aux Français : augmentation du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) de 100 euros, annulation de la contribution sociale généralisée (CSG) pour les retraités touchant moins de 2000 euros par mois, défiscalisation des heures supplémentaires…
A supposer que ces quelques mesures vont calmer le peuple contestataire, comment Emmanuel Macron va-t-il les financer ? Surtout que les 100 euros d’augmentation du SMIC ne seront pas supportés par les entreprises et que tout retour à l’impôt sur la fortune est exclu ? Un travail d’équilibriste ardu attend M. Macron et son équipe qui rêvent sans doute de la formule magique qui leur permet de continuer à prendre aux pauvres et à donner aux riches sans que des « Gilets jaunes » débridés ne mettent la France sens dessus dessous.