En réponse à la mobilisation populaire des « gilets jaunes », le président Emmanuel Macron a annoncé la tenue d’une consultation devant « permettre à chaque Français de faire part de son témoignage, d’exprimer ses attentes et ses propositions de solutions ».
Or ce débat a été justifié notamment par cette déclaration : « Ce sont quarante années de malaise qui resurgissent : (…) malaise face aux changements de notre société, à une laïcité bousculée et devant des modes de vie qui créent des barrières, de la distance. (…) Je veux aussi que nous mettions d’accord la Nation avec elle-même sur ce qu’est son identité profonde, que nous abordions la question de l’immigration. Il nous faut l’affronter » [Extrait du verbatim de l’allocution télévisée du président Macron]. L’annonce d’un débat sur une telle problématique a provoqué un véritable tollé, y compris au sein du parti présidentiel.
Retour officiel du discours identitaire ?
« Laïcité, identité, immigration ». Lui qui invoque souvent la complexité du réel, en mobilisant un triptyque devenu lancinant dans le débat public de ces trente dernières années, le président Macron a cédé à une forme de facilité rhétorique, politique et idéologique pour sortir de la crise qui s’est cristallisée autour de sa personne même. Certes, non seulement le président a décrété «l’urgence économique et sociale», mais son discours n’a pas réduit la crise des gilets jaunes à une crise identitaire. Il n’empêche, les mots du champ lexical structurant le discours identitaire ont été prononcés pour justifier le mal national…
E. Macron n’est pas le premier à convoquer l’identité nationale, loin s’en faut. Dès le soir de sa victoire au second tour de l’élection présidentielle de 2007, Nicolas Sarkozy annonce qu’il veut « remettre à l’honneur la nation et l’identité nationale», qu’il veut « rendre aux Français la fierté d’être Français».
La présidence de Nicolas Sarkozy (2007-2012) avait été traversée par cette idée étrange suivant laquelle l’identité expliquerait/solutionnerait tout, ou presque.
Un essentialisme teinté de culturalisme qui s’est institutionnalisé avec la création d’un ministère accolant dans son intitulé les termes « immigration », « intégration » et « identité nationale » ; un acte symbolique fort qui annonçait déjà l’ouverture d’un débat sur l’identité nationale qui a tourné au fiasco politique… Et pour cause, il n’existe pas de définition objective ou scientifique de l’« identité nationale » ou de l’« identité française »…
A l’inverse, Emmanuel Macron s’était refusé à exploiter la question identitaire pour s’imposer durant la campagne présidentielle. Concernant l’islam, sa légitime intransigeance à l’égard des djihadistes et sa référence au « terrorisme islamiste » ne relèvent nullement de l’amalgame et de la stigmatisatisation des musulmans.
Mieux, il a pris acte du caractère multiculturel de la société française – sans adhérer pour autant à la doctrine multiculturaliste – pour mieux dénoncer les tenants de « l’identité rabougrie ».
Selon le candidat Macron, « Le fondement de la culture française, c’est une ouverture sans pareil. ». Il ajoutait : « Le terme même d’identité ne peut être accolé à celui de culture française ».
En cela, son élection sonnait comme un échec historique pour le large éventail représentatif des diverses branches de l’identitarisme à la française allant de Marine Le Pen à Manuel Valls en passant par Laurent Wauquiez.
Les musulmans, victimes expiatoires de la crise française ?
Alors que le président a confirmé sa volonté de mettre de l’ordre dans l’organisation du culte musulman, au risque d’ébranler la lettre et l’esprit de la loi de 1905, le fait de ressusciter la thématique de l’identité nationale interroge : et si la volonté légitime de définir un «nous» basculait à nouveau dans l’exclusion d’un «eux» imaginaire ; et si la figure du musulman était à nouveau érigée en victimes expiatoires de la crise existentielle qui sévit en France… ?
En proie à des sentiments mêlés de peur et de nostalgie, en manque d’inspiration et tournée vers le passé, trop de responsables politiques français demeurent en quête d’un ennemi intime, dont le profil se résume à un agrégat de stéréotypes ramassés dans la figure du « jeune-musulman-de-banlieue ».
Les attaques terroristes cristallisent cette fracture française. Il n’empêche, le réflexe national-sécuritaire ne suffisent pas à combler le vide et à dessiner un avenir.