Le pouvoir politique n’a pas du tout fait de cadeau à l’UGTT à l’occasion des crises de 1978 et de 1985. Arrestations, emprisonnements, violences physiques et verbales et tortures sont le lot de nombreux militants.
Mustapha Madini, Mohamed Salah Khériji, Jalloul Azouna et Hédi Ghodhbani. L’Institut Supérieur de l’Histoire de la Tunisie Contemporaine (ISHTC) a choisi d’inviter ces quatre syndicalistes du monde de l’éducation et de l’enseignement supérieur, du reste dominant au sein de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), pour apporter un témoignage sur les deux crises syndicales de 1978 et de 1985.
Organisée, le 9 janvier 2019, au siège de l’ISHTC au Campus universitaire de la Manouba, la journée d’étude n’a pas manqué d’apporter un éclairage sur deux événements majeurs dans la lutte de la principale syndicale du pays en vue de son indépendance par rapport au pouvoir politique en Tunisie.
Avec souvent des détails croustillants. Ainsi le blindé dans lequel sont venues les forces de l’ordre en vue de déloger une des directions légales de l’UGTT en 1985 portait le nom du père de la centrale, Hached.
Un satellite du parti unique
Les invités de l’ISHTC ont décrit par le menu détail les crises de 1978 et de 1985 en situant, et pour l’essentiel, les débuts du conflit entre l’UGTT et le pouvoir tunisien à 1964. Lorsque l’une des motions du Parti Socialiste Destourien (PSD), réuni à Bizerte, institutionnalise le fait que toutes les organisations nationales, dont l’UGTT, devienne un satellite du parti unique.
Plus tard, la politique libérale engagée dans la décennie soixante-dix par l’ancien Premier ministre, Hédi Nouira, ne fera pas que des adeptes du côté de l’UGTT. Dont une bonne partie des élus craignent qu’elle ne serve pas la cause des travailleurs.
Dans son combat contre le pouvoir en place, l’UGTT paiera lourdement ses choix en vue de son indépendance : arrestations, emprisonnements, violences physiques et verbales et tortures sont le lot de nombreux militants.
Et même plus, Abdelmajid Sahraoui, ancien secrétaire général régional de l’UGTT à Sousse, évoque, à ce propos, la mort sous la torture de deux militants sincères : Saïd Gagui et Massaoud Kouki.
Et les menaces n’ont pas manqué. Ainsi et à la veille de la grève générale du 26 janvier 1978, un notable du Destour affirme, dans une discussion dans un hôtel de Sousse, qu’il va assassiner le leader Habib Achour.
Le pouvoir en place savait manier également la carotte. Hédi Ghodhbani, secrétaire général en 1985 de l’UGTT à Kasserine a été reçu, en grande pompe, par le gouverneur de cette région pour se voir proposer un contrat dans un pays du Golfe arabe.
Casser du syndicalisme
Le même Hédi Ghodhbani a également évoqué que les autorités régionales exerçaient la pire des pressions en faisant intervenir les proches des syndicalistes comme les scheiks et autres personnalités connues pour une survivance du tribalisme.
Annulation des cotisations déduites des salaires des fonctionnaires en faveur de la centrale ou encore fin de la mise à disposition dans la fonction publique, le gouvernement a, en outre, usé de ces deux armes pour casser du syndicalisme.
Pourtant et beaucoup de militants invités n’ont pas raté l’occasion de le dire, l’UGTT a marché quelquefois main dans la main avec le pouvoir lorsqu’elle n’a pas été– sous le régime de Zine El Abidine Ben Ali- inféodée.
Ali Taïeb, Directeur de l’ISHTC, mettra tout le monde d’accord dans la clôture de la rencontre. « En fait, a-t-il notamment soutenu, le combat de l’UGTT pour son indépendance et les souffrances qu’elle a endurées, ne différent en rien de ceux qui ont été le lot des militants pendant la période coloniale. Il n’y a que les acteurs qui changent ».