2019, nous y voilà. Et pourtant on y était déjà avant même que l’année qui précède n’expire. Avec pour seule perspective les élections législatives et présidentielles qui se profilent à l’horizon au terme de la nouvelle année.
Les grandes manoeuvres électorales et politiques ont commencé très tôt avec le risque d’impacter négativement l’action gouvernementale. On ne peut courir deux lièvres à la fois. Il est, en effet, difficile de ne pas céder à la tentation des promesses électorales quand il faut mettre de la rigueur pour redresser les finances publiques tombées au plus bas et un déficit extérieur qui culmine au plus haut sur des sommets jamais atteints. La marge du gouvernement est si ténue qu’elle paraît inexistante. Il évolue sur le fil du rasoir tel un funambule. Il est obligé de donner aux uns ce qu’il reprend aux autres, qui n’en peuvent plus car ce sont toujours les mêmes. A moins de prendre le risque de déterrer la hache de guerre contre les zones de non-droit où prolifèrent à l’envi les délinquants financiers toutes catégories confondues. La palette est si large et si prospère qu’elle pourrait à elle seule, si elle était taxée convenablement, couvrir tous les déficits publics. Mais oser s’attaquer aux barons de la contrebande, aux irréductibles du fisc, aux 400.000 forfaitaires et à leur privilège indu n’est manifestement pas du goût de tout le monde au regard de leur influence et de leur poids électoral.
Les prochaines élections sont dans tous les esprits, ce qui est parfaitement légitime en démocratie. On l’aura compris, les alliances politiques en vue des batailles électorales qui ont démarré avant l’heure se font et se disloquent comme nulle autre au gré des circonstances et des enjeux de conquête de pouvoir. Il n’est même pas exclu au regard de l’immaturité et de l’inconsistance politique de rescapés de la 25ème heure et d’apprentis acteurs politiques de série B que les alliés d’hier et d’aujourd’hui vont devoir s’affronter demain, ne serait-ce qu’électoralement, sans ménagement aucun. La tension est déjà palpable. Le pire n’est jamais exclu.
Qu’il faille se préparer à ces élections à quelque niveau de responsabilité où l’on se trouve, quoi de plus normal. A condition de ne pas déroger au principe de bonne gouvernance. Dès lors que cela n’impacte, n’interfère et ne détourne l’exécutif des réformes et de l’action qu’il a la charge d’accomplir, fussent-elles impopulaires et durement ressenties. La transition démocratique – la vraie – est à ce prix. Les acteurs politiques et principalement les partis qui sont en capacité de gouverner ne doivent pas perdre de vue l’essentiel. Ils doivent convenir que les élections aussi libres et transparentes soient-elles ne font pas et ne garantissent pas la démocratie, loin s’en faut.
Elles sont nécessaires mais pas suffisantes pour l’ancrer et l’installer durablement de manière pérenne.
La démocratie est incompatible avec la pauvreté, la misère, l’explosion de liberté en l’absence de tout devoir qui confine au désordre et au chaos. La montée du chômage, l’emballement des prix, la dépréciation ininterrompue du dinar qui fond comme beurre au soleil, l’envolée de la dette sont le signe de notre décrochage économique. Qui se lit aussi et surtout dans les statistiques désastreuses de nos échanges extérieurs. Point besoin de concurrents hyper-compétitifs pour nous contraindre à baisser pavillon et céder nos parts de marché ici et ailleurs. Dans cette entreprise de démolition de notre appareil productif, nos compétiteurs, aussi agressifs soient-ils, y sont pour peu de chose. On s’en est chargé nous-mêmes, méthodiquement, quasi scientifiquement et sans relâche, en boudant le travail et en nous insurgeant contre toute forme de discipline, devoirs et obligations. Nous avons au final tourné le dos à tous les principes de réalité et relégué au placard des oubliettes l’impératif de compétitivité.
Résultat de cette course folle vers on ne sait quoi : on distribue plus qu’on ne produit et qu’on crée en recourant massivement et sans discernement à l’emprunt et au cumul de la dette interne et externe sans que cela tempère et calme les vagues de demandes sociales portées à incandescence.
Les menaces de grève dans la fonction publique et ailleurs se multiplient, se généralisent – et se banalisent. Pour toute réponse, on cherche moins à allumer les feux de la croissance qu’à faire la manche, qu’à nous inscrire dans un cycle infernal de mendicité internationale au risque de porter atteinte à ce qui reste de notre propre souveraineté. Où l’on s’expose déjà au vieil adage selon lequel qui paye commande. Avec au bout du compte des manifestations à n’en pas finir contre toute forme d’austérité imposée sinon voulue par les bailleurs de fonds.
Huit ans après la promesse de janvier 2011 et plus de 4 ans après la proclamation de la 2ème République et des élections législatives et présidentielles libres et transparentes, le constat est fortement contrasté et à bien des égards décevant sinon amer. La nouvelle classe politique n’a pas fait mieux dans la conduite de l’économie que l’ancienne, aujourd’hui courtisée par ceux là –mêmes qui la stigmatisaient, la diabolisaient et s’étaient même acharnés à la rejeter au ban de la société. La transition politique aura été plus longue qu’il n’en fallait pour ancrer la démocratie, apaiser et réconcilier le pays et remettre l’économie dans le sens de la marche. L’obsession du pouvoir aura été plus forte que le reste. Les formations politiques qui se sont succédé au pouvoir, celles qui venaient d’un autre âge au tout début comme celles qui les ont relayées par voie électorale se sont engluées dans des querelles de chapelle qui n’en finissent pas aux dépens de politiques publiques et économiques laissées en jachère et tombées en déshérence.
L’attente aura été longue, pénible et terriblement coûteuse en destruction de valeurs, de richesses, d’emplois et de perspectives d’avenir. Qu’est-ce à dire sinon qu’il y a péril en la demeure. Le gouvernement Chahed, qui entame son 3ème exercice, a battu tous les records de longévité au cours de ces huit dernières années. Il lui sera difficile d’invoquer l’héritage des années passées ou le passif des gouvernements précédents qui ne sont pas sans reproche. Il sera désormais jugé sur son propre bilan et il engage sa propre responsabilité. Il est déjà comptable de ses faits, gestes et de sa propre action. Il est certes de son devoir de veiller à l’organisation et au bon déroulement en temps et en heure des prochaines élections législatives et présidentielle de fin d’année, mais dira-t-on pour quoi faire si c’est pour retrouver au final, au lendemain du scrutin, un pays exsangue, sans aucune perspective de croissance future.
C’est pourquoi, il ne peut s’empêcher, et il a même pour mission historique, de siffler la fin de la récréation. Il doit enrayer le déclin industriel et financier du pays, redonner goût et espoir aux investisseurs et exportateurs. Nous devons reconstituer nos réserves en devises autrement qu’en recourant à l’endettement. Et d’ailleurs le pourrions-nous encore alors même que nous sommes relégués au rang de pays à risque, spéculatif et à souveraineté limitée ? L’issue de l’économie et sa capacité à rebondir décideront de son propre sort. Son avenir politique se joue aux abords et au sein même du bassin minier et des champs pétroliers. Il dépendra aussi de sa capacité à endiguer l’inflation, le déficit extérieur en rationalisant les importations en folie sans rapport avec les intrants de l’appareil productif. Cette frénésie d’achats de biens étrangers a pour seul effet la descente aux enfers du dinar qui, semble-t-il, échappe à tout contrôle en raison de l’effondrement de la courbe de productivité nationale.
On ne peut rien construire de solide ni bâtir un avenir sans un dinar stable en cohérence avec notre propre ambition nationale. Sauver le Groupe chimique, relancer la prospection et la production pétrolière, aujourd’hui en panne prolongée, sinon à l’arrêt, à cause des troubles sociaux et de dérèglement sociétal sont le moins que l’on puisse faire pour stabiliser et pourquoi pas réévaluer notre propre monnaie nationale. Elle est tombée si bas par notre négligence, notre indifférence, notre faute pour ainsi dire. Sa dégringolade ne signifie rien d’autre qu’un appauvrissement général. En 2018, le revenu par habitant en dinar constant est bien moins élevé qu’il ne l’était en 2010, la fracture sociale y est plus profonde, les inégalités régionales plus grandes, la corruption plus répandue et plus dévastatrice et la fuite de cerveaux et de compétences plus périlleuse et plus alarmante pour le pays. L’angoisse, l’inquiétude et la crainte des lendemains s’emparent du pays si l’on en croit les sondages d’opinion qui font florès.
Où sont passées les promesses d’il y a huit ans ? Le gouvernement Chahed, mais pas que lui, toute la classe politique, les corps intermédiaires et la société civile sont aujourd’hui sommés de réagir, de faire face à l’urgence. C’est aujourd’hui une question de survie et de sécurité nationale. Ils doivent mettre en sourdine leurs querelles et leur guéguerre politique, cesser de fourbir leurs armes pour mieux s’étriper politiquement, au risque d’enfoncer davantage dans les ténèbres l’économie nationale. L’éclaircie de 2018 – 2,5% de croissance – est plus conjoncturelle – tourisme, huile d’olive et dattes – que structurelle. Elle ne doit pas faire illusion.
Le gouvernement doit déclarer illégale l’explosion du chômage, de l’inflation, du déséquilibre régional, l’érosion continue du dinar et l’envolée de la dette. Il doit leur déclarer la guerre au moyen de véritables politiques d’offre agricole, d’habitat, de transport, d’éducation et de soins publics. Il doit impérativement défendre le dinar en agissant en amont, aux avant-postes du combat pour enrayer le déficit extérieur, en venant à bout des résistances au sein du Groupe chimique et de l’activité pétrolière. Il doit rétablir et réaffirmer l’ordre républicain et l’autorité de l’Etat de droit. Il doit lever les obstacles à l’investissement, libérer les énergies et la croissance. Il doit, il doit…
Huit ans après le choc démocratique, l’économie doit pouvoir retrouver sa croissance potentielle. Et pour cause : à plus de 4 points de croissance, la masse salariale dans la fonction publique reviendra à des niveaux moins contestables, ce qui n’enlève rien à la nécessité de limiter le sureffectif. Il n’y a aucune fatalité à la persistance de la crise. Le pays a encore son destin en main et est encore en ordre de marche. Il n’y a pas mieux qu’une pédagogie de crise et d’enjeux, un discours courageux, vrai et juste pour relancer la production, renflouer les caisses de l’Etat et de la sécurité sociale aujourd’hui en défaut, incapable d’assurer la retraite de ses affiliés.
En ces temps de difficultés économiques et sociales bien loin des cris, chuchotements et manoeuvres d’une campagne électorale lancée avant l’heure, le gouvernement doit consolider les moyens et les mécanismes du dialogue social pour restaurer la confiance et ne rien promettre qu’il ne puisse tenir. Ce n’est sans doute pas ce qu’il y a de mieux pour séduire un vaste électorat, mais à bien y réfléchir, c’est le plus abouti et le plus prometteur des programmes. Si le gouvernement parvient à enclencher le cercle vertueux de la croissance et à réenchanter le pays, tout deviendra alors possible.