Si les Maghrébins sont victimes de racisme en Europe, les sociétés maghrébines sont elles-mêmes frappées par ce fléau? Les agressions, verbales ou physiques, à caractère raciste que subissent les Subsahariens et les Noirs sont une réalité qui n’est pas foncièrement nouvelle, mais qui connaît une acuité nouvelle.
La question du racisme anti-Noir a fait irruption dans le débat public. Une série de faits divers et autres faits de société ont permis de briser ce qui ressemblait à un tabou : celui de la composante noire des populations maghrébines (généralement traités comme des citoyens de seconde zone) et de la présence pérenne d’une immigration noire africaine dans les sociétés maghrébines. Le fait que la question raciale soit enfin posée – même partiellement et maladroitement – représente en soi une avancée.
L’irruption de la question raciale
La question raciale ne cesse de défrayer la chronique au Maghreb, où la violence physique se conjugue à une violence symbolique, nourrit par un dénigrement socio-culturel que subissent des personnes de couleur, qu’il s’agisse de concitoyens, ou de migrants subsahariens en route vers l’Europe ou séjournant en tant qu’étudiant.
Certains épisodes ont marqué l’actualité : les réactions intempestives à l’élection de Miss Algérie de Khadidja Benhamou (originaire d’une ville du sud algérien, Adrar), une jeune femme dont les ascendants sont manifestement issus d’une région subsaharienne. Le meurtre violent de Falikou Koulibaly, le président de l’Association des Ivoiriens en Tunisie, qui vient ponctuer une série d’agressions contre des Noirs africains installés en Tunisie et en Algérie. Trois migrants été tués en 2014 à Boukhalef, un quartier périphérique de Tanger au Maroc. Les enchères de migrants subsahariens rabaissés à la condition d’esclave en Libye. En Mauritanie, si l’esclavage a été interdit en 1981, la pratique reste assez courante dans un pays où le racisme ne vise pas les migrants de passage mais une partie des citoyens mauritaniens, en particulier parmi les Haratine, descendants d’esclaves, et des Négro-Africains…
Si les Maghrébins ne sont pas tous racistes, ni racistes par nature, loin s’en faut, il n’empêche, il ne fait pas bon être Noir au Maghreb…
Plus que des lois, il faut déconstruire des schémas mentaux
Une réalité prise au sérieux par les associations et autres ONG, malgré l’atonie des classes politiques nationales. La Tunisie a néanmoins fait un geste politique et symbolique fort : le Parlement a voté une loi historique, qui criminalise les propos racistes, l’incitation à la haine et les discriminations : « L’incitation à la haine », les « menaces racistes », la « diffusion » et « l’apologie du racisme » ainsi que la « création » ou la « participation à une organisation soutenant de façon claire et répétitive les discriminations » sont passibles de un à trois ans de prison, et jusqu’à 3 000 dinars d’amende.
Mais la légalité ne suffit pas pour lutter contre la discrimination raciale – synonyme de déclassement social et de dévalorisation humaine – si profondément ancrée dans les moeurs sociales. La légalité suppose un travail de déconstruction des schémas mentaux. Les sources de ce racisme remontent en effet aux racines historiques et culturelles qu’il convient de déconstruire au nom du respect des droits de l’Homme …
Des tribus pratiquaient l’esclavagisme dans tout le Maghreb et c’est resté dans l’imaginaire collectif. C’est pourquoi, la couleur de la peau demeure associée à un statut symbolique inférieur. Une réalité qui traduit aussi une méconnaissance de trop de Maghrébins de leur propre histoire et de leur propre géographie : c’est la reconnaissance de leur part d’africanité qui est fondamentalement en jeu.