Réforme d’avant-garde, Ahmed Bey abolit définitivement, le 26 janvier 1846, l’esclavage des Noirs. Cette mesure s’inscrit dans la politique de progrès du bey. Il fait valoir une relecture du référentiel, puisqu’il interdit une pratique tolérée dans la législation musulmane.
Etat de l’esclavage, en Tunisie : Il est difficile d’évaluer le nombre des esclaves vendus, en Tunisie. L’évaluation de l’historien Ralph Austin, in » the transaharan slave, a tentative census, in the uncommon market, essay in the economic history of the Atlantic slave trade) reste approximative.
James Richardson donne, en 1845, le chiffre de 100.000 esclaves noirs, sur une population totale de 2.061.000 (archives du Foreign office, Londres). Lewis Ferrière, donne, en 1848, le chiffre de 167.000 Noirs (libres et esclaves) sur une population totale de deux millions d’habitants (lettre au consul Reade, Tunis, 31 mars 1848, archives du Foreign office, Londres). Ce déclin est confirmé par la baisse de l’achat des esclaves, par les beys régnants : 1 à 9 par an, de 1827 à 1832, 13, en 1249 de l’Hégire (1833-1834) et 19 en 1250 de l’Hégire (1835-1836. Cette baisse s’expliquerait par le déclin du commerce caravanier et son détournement de Ghadamès, qui était en relation avec le sud tunisien, vers Tripoli (voir notre étude, dépendance et mutations précoloniales (1815 -1857, Tunis, 1984). Malgré un déclin certain, le marché des esclaves noirs de la Berka se maintenait, tant bien que mal. On continuait aussi à vendre des esclaves sur les marchés étapes des caravanes. Le poids démographique de cette population servile était donc faible, ainsi que son rôle dans la production économique. Mais l’institution servile restait fort ancrée dans la société tunisienne.
Les esclaves libérés progressivement
Une abolition progressive : en 1841, le bey interdit la vente des esclaves dans les marchés. Il ordonna d’abolir les magasins de ventes de la Berka et la « cage » réservée au caïd de la vente. Il interdit, par la suite, l’exportation des esclaves de Tunisie. En décembre 1842, il accorda la liberté à tous les esclaves nés en Tunisie. L’abolition définitive devait être promulguée le 26 janvier 1846.
Fait important, la lettre du bey, rédigée par le réformateur Ahmed Ben Dhiaf, adopte une relecture du référentiel. Son argumentaire fait valoir:
- que la conduite des maîtres d’esclaves n’était pas conforme aux recommandations de la charia,
- la praxis musulmane fait valoir l’idéaltype de libération,
- L’esclavage est à l’origine, l’objet de controverses entre les oulémas. Il s’agirait donc d’une praxis dont l’autorisation n’est pas affirmée.
Le mouvement abolitionniste se déclencha en Grand-Bretagne, où le Parlement interdit l’esclavage en 1807. Les signataires du Congrès de Vienne, en 1815, s’accordèrent pour l’abolition. Il fut aboli, dans les colonies françaises en 1848. Les États-Unis promulguent le 13e amendement interdisant l’esclavage, en 1865. La Tunisie fut le premier pays africain et musulman à abolir l’esclavage. Fait éloquent, le gouvernement américain, tint à connaître l’expérience tunisienne et consulta le gouvernement tunisien, à cet effet. La réponse tunisienne fut d’ailleurs publiée.