Le professeur de droit constitutionnel Kaïs Saïd livre à leconomistemaghrebin.com ses réflexions sur la Constitution de 2014, à l’occasion de son anniversaire. Lors de cette analyse, il s’interroge sur le degré d’effectivité de la Constitution et si elle traduit réellement la volonté d’un peuple souverain.
Kaïs Saïd considère que la Constitution de la deuxième République, celle de 2014, est semblable à un habit confectionné par plusieurs parties pour que chacun y trouve son compte. Dans ce contexte, il affirmé que le constitutionnalisme en Tunisie comme ailleurs dans différent pays arabes et africains n’est pas un mouvement fondé sur la liberté mais c’est plutôt un instrument de légitimation du pouvoir.
Dans le même ordre d’idées, il affirme que lorsqu’une nouvelle Constitution est adoptée, elle ouvre une parenthèse relative de liberté avant que l’étau ne se resserre de nouveau au nom d’une pseudo-légitimité constitutionnelle. « Cela sans parler des révisions constitutionnelles taillées sur mesure parce que l’habit constitutionnel n’est plus confortable aux gouvernants », continue-t-il.
« Par ailleurs, et aussi paradoxal que cela puisse paraître, la sphère de liberté est plus large en l’absence d’une Constitution parce que le pouvoir entre 2011 et 2014 n’a pas de légitimité constitutionnelle », dit-il.
« C’est presque un cycle, chaque Constitution ouvre une période d’euphorie puis l’étau se resserre et lorsque le pouvoir s’installe la sphère de liberté se resserre de plus en plus ». Ainsi, il affirme qu’une véritable nouvelle Constitution n’est pas seulement un texte qui porte une date nouvelle dont on célèbre l’anniversaire chaque année mais un esprit nouveau et une philosophie politique nouvelle.
Kaïs Saïd affirme que le monde entier est entré dans une nouvelle ère : « Les peuples souverains ne veulent plus de démocratie de façade. Ils sont en quête d’une démocratie réelle qui les représente véritablement. Le cas de la France le prouve », analyse-t-il.
Il poursuit : « Certains parlent aujourd’hui d’anniversaire de la seconde République mais cette république est-elle réellement une deuxième république ou plutôt une première bis ? », s’interroge-t-il.
Notre invité affirme que la célébration de cette date est également un moyen pour légitimer un système qui aux yeux d’une grande partie de la population est illégitime.
L’amendement de la Constitution est-il capable d’améliorer la situation ? La réponse est : « Ce n’est pas une question de réforme ou de révision, c’est plus profond. Peut-être la révision serait un moyen mais ceux qui sont appelés à réviser seront au pouvoir. Par conséquent, ils ne sont pas intéressés par la révision mais plutôt par leur propre confort ».
Le professeur de droit constitutionnel affirme qu’une véritable réforme de la Constitution devrait être dans le sens d’une nouvelle organisation politique et administrative qui parte du local vers le centre en passant par le régional. Pour notre interlocuteur, le pouvoir central devrait être la synthèse des différentes volontés exprimées au niveau local. « En somme, il faut renverser le sablier avec cette nouvelle organisation politico-administrative », lance-t-il.
Pour notre invité le cinquième anniversaire de la Constitution de 2014 est « le triste anniversaire d’une Constitution élaborée non pour répondre aux besoins et aux attentes d’une grande majorité du peuple mais a été faite et confectionné comme un outil du pouvoir ».
Kaïs Saïd soutient que plusieurs textes constitutionnels n’ont pas eu d’effectivité réelle. Sont-ils vraiment l’expression d’un peuple souverain ? s’interroge-t-il.
Il rappelle qu’en 1861, le pouvoir politique fêtait la première Constitution au palais du Bardo par des feux d’artifice. « Ce texte a été confectionné essentiellement par un consul français et un consul anglais et n’a duré que presque trois ans avant de tomber en désuétude et il n’en reste que les artifices », argumente-t-il.
En 1959 la première Constitution après l’indépendance était l’œuvre d’une Assemblée élue. « Mais elle été conçu, de l’aveu même du rapporteur général de la première Constituante, Ali Belhouane, comme un habit confectionné sur mesure pour le nouveau pouvoir».
Tout en reconnaissant que les débats de cette Constituante étaient intéressants, il a pointé du doigt l’hétérogénéité de la composition de cette Constituante. « C’est l’œuvre de Bourguiba confectionnée pour Bourguiba », conclut-il.