Depuis le 27 janvier 2014, soit cinq ans après l’adoption de la Constitution, la mise en place des instances constitutionnelles demeure faible. Quel bilan peut-on dresser ? Wahid Ferchichi, professeur de droit public, en donne un aperçu. Interview.
Quel regard portez-vous sur la Constitution tunisienne, cinq ans après ?
Un regard mitigé. Certes, la Constitution comme texte fondamental exige d’être mise en application. Il est vrai qu’un ensemble de lois et d’institutions ont été instaurées. Telles que la loi sur l’éradication de la violence à l’égard de la femme, la loi sur la lutte contre la traite des personnes, la loi sur la lutte contre la discrimination raciale… De même des lois relatives aux institutions ont été adoptées : loi relative à la Cour constitutionnelle, loi sur l’Instance de lutte contre la corruption, loi sur l’Instance des droits de l’Homme.
Toutefois, la mise en marche de ces institutions reste limitée, à part l’Instance supérieure pour les Elections (ISIE) et le Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Mais, même celles dont les lois ont été déjà adoptées demeurent de simples fictions. Par exemple, la Cour constitutionnelle qui devrait jouer un rôle fondamental pour préciser le sens des dispositions constitutionnelles et les instances des droits de l’Homme, de l’audiovisuel qui joueraient un rôle de régulation et de contrôle mais qui peinent à être fonctionnelles… Enfin, l’adaptation des grand textes juridiques à la Constitution est toujours en chantier. Et notamment le code pénal, le code de procédure pénale, le code du statut personnel…
Selon vous, la Constitution comme elle est aujourd’hui, est-elle un frein à la démocratie?
Pas du tout. La Constitution est le seul garant de la démocratie. Elle a instauré une reconnaissance très large des droits et libertés, des instances pouvant se constituer en garde-fous des valeurs constitutionnelles.
Un régime politique équilibré, une représentativité de toutes les tendances politiques au sein du Parlement, une magistrature indépendante, des autorités de régulation… ne peuvent qu’assurer une démocratie viable. Reste un combat à mener au niveau des acteurs politiques pour lutter contre les réflexes hégémoniques et pour une véritable éthique politique…
En l’absence de Cour constitutionnelle, quels sont les risques auxquels est exposée la Tunisie d’aujourd’hui?
Ce sont des risques d’ordre juridique, puisque « la Cour fera dire la Constitution ». Et en l’absence de cette instance, ceux qui diront la Constitution sont nombreux et pas toujours objectifs. Ce qui affectera l’image que nous avons des lois.
Sur le plan des droits et des libertés, l’absence de la Cour entraînera la poursuite de leurs violations et notamment les libertés individuelles et la vie privée. Puisque les textes fondamentaux en la matière (notamment le code pénal) demeure les mêmes depuis 1913! Il est temps en attendant leur refonte que la Cour se prononce pour limiter l’application de leurs dispositions liberticides!