Les années se suivent et se ressemblent. Les huit dernières s’entend. Elles apportent confirmation de ce que l’on pressentait déjà dès 2011, l’année de toutes les turbulences économiques qui ont pris surtout pour cible les entreprises publiques. Elles en portent d’ailleurs les stigmates. Elles ne sont pas toutes en décroissance, mais elles ont en commun des résultats financiers qui les auraient condamnées depuis longtemps au dépôt de bilan.
Où a-t-on vu des entreprises publiques contraintes à l’arrêt avant de provoquer la faillite de l’Etat ? Celle-ci n’est plus hélas, chez nous, une simple hypothèse d’école. L’Etat n’est pas loin du défaut de paiement au regard de ses fins de mois problématiques. Il ne tient sur ses jambes qu’au moyen des béquilles de l’endettement. Il lui faut cette année emprunter plus du quart de son budget pour rembourser le service de la dette – près de 9.3 MD en 2019.
Le pourrait-il à l’avenir sans subir la sanction du marché financier international ? Le pays, il convient de le rappeler, a épuisé ou presque ses possibilités d’emprunt auprès des grands bailleurs de fonds multilatéraux, à des conditions concessionnelles et donc peu onéreuses.
La dette croît nettement plus vite que le revenu national. A plus de 72 % du PIB, elle a déjà dépassé sa cote d’alerte. La raison en est qu’elle a plus servi à financer les salaires de la fonction publique, la consommation des ménages via la CGC, le sureffectif et la gabegie des entreprises publiques qui les contraint désormais au désinvestissement.
L’Etat ne pourra plus à l’avenir maintenir ses entreprises indéfiniment sous tente d’oxygène. Il n’a plus les moyens d’une telle politique désastreuse. A peine s’il peut encore s’offrir les ressources a minima pour assainir, les mettre en mode de fonctionnement un tant soit peu rationnel pour les proposer à la vente. Si tant est qu’elles trouveront acquéreur dans l’état d’ébullition sociale qui est le nôtre et de délabrement où elles se trouvent.
L’heure de vérité a sonné. Huit ans après le séisme politique qui a emporté l’ancien régime, on peut estimer que les esprits se sont calmés après que le pays a bu la coupe jusqu’à la lie. La gravité de la situation et l’urgence doivent l’emporter sur la résignation.
La révolution de janvier 2014 avait ouvert la boîte de Pandore dont on pouvait s’accommoder tant qu’il y avait du grain à moudre. Et tant que la légitimité de la rue régnait sans conteste en l’absence de l’autorité de l’Etat, pourtant auréolé de sa légalité électorale. Comme si rétablir l’ordre républicain, aussi juste soit-il, et le préserver du chaos renvoyait à de tristes souvenirs et confinait à la dictature.
Dans ce contexte fort mouvementé, sans repères précis, les entreprises publiques étaient devenues par la force des choses le réceptacle de toute la misère du pays et d’une contestation sociale tous azimuts qui a d’ailleurs servi de détonateur de la révolution de janvier 2011.
Huit ans après, la fatigue mentale, la lassitude morale, la désillusion, le désenchantement l’emportent. L’émergence de nouveaux pauvres vient s’ajouter au large contingent des pauvres parmi les pauvres.
La quasi-faillite des entreprises publiques, ballottées par l’instabilité gouvernementale et le délitement de l’Etat, et n’est pas loin de changer la donne. Les pouvoirs publics ne sont plus en mesure de s’acharner à vouloir maintenir la tête hors de l’eau des entreprises publiques à vocation concurrentielle au risque d’asphyxier, de noyer des entreprises privées par des prélèvements obligatoires et confiscatoires.
On surimpose jusqu’à leur ôter toute envie et toute possibilité d’investir des entreprises déjà fortement exposées à la concurrence. Celles encore en capacité de créer de la richesse, de l’emploi, qui distribuent des salaires et engrangent des recettes en devises. Choisir entre menaces et opportunités. Il faut à l’évidence moins d’impôts pour plus d’investissements et de recettes fiscales. Il faut se garder d’aller à contre-courant des tendances qui sont à l’œuvre dans le monde. Les entreprises y sont de moins en moins imposées et les frontières de plus en plus protégées.
Seul motif de satisfaction, notre secteur privé dans ce qu’il a de plus performant, de plus structuré fait mieux que résister. Les grands groupes privés poursuivent leur ascension portés qu’ils sont par un management de qualité, par l’envie de se développer au-delà même de nos frontières. Ils s’inscrivent dans une logique industrielle aux multiples contraintes. Il appartient à l’Etat de les accompagner et de les soutenir dans leur ambition.
Le palmarès des entreprises confirme, si besoin est, les mutations en cours du paysage productif national.
La sociologie des entreprises évolue en faveur du secteur privé qui affiche de biens meilleures couleurs que le secteur public : l’année 2017 a été un bon cru si l’on excepte les PMI et PME assommées par la déferlante de l’économie informelle et malmenées par les banques. Celles dont le positionnement stratégique, les disponibilités en moyens et en compétences, les capacités d’innovation et la dynamique de développement sont propulsées vers l’avant. Elles font mieux que compenser la régression du secteur public. Sans elles et sans leur performance, le curseur de la croissance serait à des niveaux encore plus bas, proche du zéro quand il ne serait pas dans le rouge. Un regret quand même, car sans l’instabilité fiscale, le bouillonnement social, les lourdeurs bureaucratiques, le résultat aurait été bien meilleur. Une chance aussi pour les mois et les années à venir : tout dépendra de la capacité de l’Etat de s’inscrire dans la vague de rénovation mondiale.