Des enseignants tunisiens réclamant des hausses de salaire ont décidé de boycotter les évaluations et examens des bacheliers. Si leur revendication en matière d’augmentations de salaire peut paraître légitime en soi, les élèves, usagers du service public de l’enseignement, sont également dans leur droit lorsqu’ils rappellent le principe de « continuité du service public », dans leur intérêt et celui du pays…
La crise intervient en pleine mutation d’un secteur où la montée en puissance de l’offre privée déstabilise un système d’éducation déjà frappé par les inégalités.
Un système privatisé
Un enseignement gratuit et de qualité : voici le défi qu’avait relevé la Tunisie indépendante, lorsque l’éducation était une priorité politique et budgétaire de l’Etat.
Le choix des parents d’inscrire leurs enfants dans le secteur privé de l’enseignement primaire se diffuse dans les classes moyennes, malgré la perte de pouvoir d’achat qui les affecte directement avec la hausse de l’inflation.
Le mouvement semble même se diffuser au secondaire et à l’enseignement supérieur. Le désengagement progressif de l’Etat du secteur éducatif, les défaillances structurelles du système public et la défiance à l’égard du corps enseignant ont renforcé le développement du secteur privé. L’offre se démultiplie et représente désormais une concurrence à une offre publique dépréciée.
Un système inégalitaire
Outre le fait d’être une machine à produire des chômeurs, le système de l’éducation nationale est devenu une machine à produire de l’inégalité. La mutation du système de l’éducation s’accompagne en effet par un accroissement des inégalités.
Non seulement l’accès au secteur privé est socialement sélectif, mais la réussite dans le secteur public suppose souvent un soutien scolaire lui-même économiquement sélectif…
Des cours particuliers parfois assurés par des enseignants des écoles publiques eux-mêmes, une pratique banalisée, mais illégale…
L’école tunisienne est inégalitaire, alors que le système éducatif est censé favoriser les plus favorisés. Pilier de la République, l’école n’échappe pas aux phénomènes discriminatoires. Les inégalités s’immiscent jusque dans les murs de ce sanctuaire de la République et participent au niveau inacceptable du taux d’échec scolaire dans notre pays.
Combattre l’échec scolaire est une responsabilité politique noble et impérieuse. Le service public de l’enseignement doit porter un « devoir-d’espoir » à l’endroit de la jeunesse, laquelle perçoit trop souvent l’école comme une source d’angoisse.
Notre système s’est progressivement transformé en une machine de sélection, de reproduction et d’immobilité sociales, qui contribue in fine au non renouvellement des élites.
Pilier du modèle républicain, l’école n’échappe pas à ces maux. Malgré la démocratisation scolaire, elle n’est plus en mesure de compenser les disparités sociales et inégalités de conditions, et dès lors ne répond plus suffisamment à ses fonctions existentielles : contribuer à l’émancipation individuelle, former des citoyens suffisamment instruits pour bénéficier de « l’ascenseur social.
Ainsi, la République est aux prises avec un cercle vicieux : les inégalités sociales et territoriales nourrissent les inégalités scolaires, qui à leur tour (via les diplômes) creusent les inégalités sociales.
Le système s’est progressivement transformé en une machine de reproduction et d’immobilité sociales, qui contribue in fine au chômage de masse des jeunes diplômés et au non renouvellement des élites.
L’école, on le sait est source d’un espoir d’émancipation et de mobilité sociale, mais c’est aussi le lieu même involontaire de traitements inégalitaires.
Si ce phénomène n’est pas propre à la Tunisie, il revêt ici une importance particulière dans un pays où l’égalité est la passion qui est théoriquement censé fondé le pacte républicain et la cohésion nationale depuis la Révolution de 2011…
Aujourd’hui, c’est le système scolaire qui aurait besoin d’une réforme révolutionnaire.