La communication politique prend de plus en plus d’importance, plus de huit ans après la révolution. C’est un aspect positif, car communiquer se présente comme un élément clé de la démocratie. Il y a de plus en plus d’espaces et d’institutions qui donnent la parole.
Mais les politiciens ont-ils vraiment saisi les enjeux d’aujourd’hui ? A titre d’exemple, le discours du chef du gouvernement, diffusé dans la soirée du dimanche 10 février, à 22 heures, durant une émission sportive. Demeure alors la question de la perception de la communication politique. Lotfi Saïbi, consultant et expert en communication, apporte son éclairage sur ce sujet.
Le premier élément à comprendre est celui du timing. Pourquoi l’allocution de Youssef Chahed a-t-elle été annoncée à la dernière minute, un dimanche soir ?
La réponse est claire, d’après M. Saïbi : « Cela revient en partie à une mauvaise compréhension de la communication. »
Ensuite, il fallait préciser le contexte dans lequel était faite cette intervention télévisée. Ainsi, les proches du chef du gouvernement auraient dû en spécifier le sujet et non laisser les spéculations aller bon train.
Par ailleurs, Lotfi Saïbi met en relief une particularité des sorties médiatiques de Youssef Chahed. Il déclare : « Il faut comprendre que tout le monde sait que le camp du chef du gouvernement fait le buzz. Et notamment quand il s’est attaqué à Nidaa Tounes et à Hafedh Caïd Essebsi, au moment même où le Chef de l’Etat était à Paris. Cela s’est aussi produit dimanche dernier, quand Béji Caïd Essebsi se trouvait à Addis Abeba, au Sommet de l’Union africaine. »
Et d’ajouter : « Mais plus encore, cela a démontré un manque d’empathie vis-à-vis des Tunisiens. Car l’avis d’une déclaration non programmée, en fin de soirée, a un caractère alarmiste. Or, ont été annoncées la reprise des cours et la fin de la crise avec l’UGTT, alors que cela avait déjà été fait officiellement. On peut donc se demander légitimement quelles considérations, à l’égard des élèves qui devaient reprendre les cours le lundi matin et des spectateurs qui travaillaient le lendemain, animaient ce discours. Et d’ailleurs, il n’a duré que sept minutes trente. »
La confusion des genres en matière de communication
Ainsi, il y a eu une confusion entre communication politique, communication médiatique et marketing politique.
Selon lui, le chef du gouvernement bénéficie de tous les avantages liés au pouvoir exécutif. Et par conséquent, son équipe devrait comprendre quand il faut communiquer. Or, ce qu’on a entendu, en termes de contenu, n’est rien d’autre qu’une médiatisation politique d’un politicien, à la tête d’un nouveau parti politique, qui se prépare pour les élections.
Autre élément, ces experts en communication politique ont raté la transition de l’ère digitale. Car M. Saïbi souligne que si auparavant le politicien ne parlait qu’à la télévision ou à la radio, soit les schémas classiques, aujourd’hui les choses ont beaucoup évolué. Et toute communication doit se faire à l’instant T, dans le bon timing. C’est-à-dire qu’on ne laisse pas passer trop de temps avant de réagir aux événements.
Mais, dans notre cas de figure, « les Tunisiens ont poiroté deux heures. C’est comme si on était revenu en arrière, à l’époque des annonces impromptues des discours de Jamel Abdennaceur », explique-t-il.
M. Saïbi souligne : « Les conseillers en communication de Youssef Chahed sont un peu old school. Car à ce jour, ils n’ont pas compris la psychologie de l’auditoire. Ce qui est à mon sens important. Et puis tout le monde s’attendait à des sujets d’actualité, tels l’appareil secret d’Ennahdha, les écoles coraniques, etc. »
« La démocratie ne peut pas survivre sans la communication. Le ressort de la démocratie est fragile et il repose sur la confiance. Si cette confiance se brise, la communication politique devient de la propagande. Et le jeu démocratique est en danger. En clair, une mauvaise communication politique contribue à la fragilité de la démocratie. Cela résume les cinq dernières années », affirme-t-il.
« En outre, communiquer en temps de crise de confiance est très difficile. Il faut des experts ayant des connaissances de la psychologie de masse », continue-t-il.
« De plus, la perte de confiance des citoyens est double, car elle touche aussi bien les institutions de l’Etat que les politiciens. La communication politique ne peut agir toute seule car nous sommes dans une époque où le désintérêt des citoyens se manifeste par l’abstention et le manque d’implication dans la vie politique. Alors que le rôle d’un leader est de donner de l’espoir aux citoyens », renchérit-il.
Quant au mot de la fin “Tahya el demokratia ettounssia” (Vive la démocratie tunisienne), M. Saïbi précise : « C’est du n’importe quoi. Le chef du gouvernement ne peut plus dire Tahya Tounes ! Cela montre une fois de plus la fragilité de sa personne. Il aurait du jouer le jeu, et cela démontre l’inexpérience de ses conseillers. On ne peut pas se permettre des conseillers de l’ancien régime à l’ère du digital quand 60% des moins de 25 ans n’ont aucun intérêt pour la chose politique. Le gap entre le citoyen et le politique se creuse de plus en plus. »