Pour faire face, en 2019, à la fragilité des principaux indicateurs de l’année écoulée, qui passent d’un trend conjoncturel à une dangereuse courbe structurelle, il faut tout d’abord faire le bon diagnostic, écarter les fausses pistes et engager les vraies solutions, tout en maîtrisant les dépenses publiques. C’est ce qu’a affirmé Afif Chelbi, président du Conseil des Analyses économiques (CAE). Et ce, lors d’une table ronde organisée aujourd’hui sur la conjoncture économique 2018 et les perspectives 2019.
De prime abord, M. Chelbi a rappelé que l’année 2018 a été marquée par des prémices de reprise de la croissance qui demeure néanmoins fragile. Car elle est portée essentiellement par les secteurs agricole et touristique. Tandis que les principaux autres secteurs productifs (industrie, énergie, phosphates) connaissent un fléchissement. S’ajoute à cela le déficit de la balance commerciale qui a atteint un niveau inégalé à 19 milliards de dinars et la valeur du dinar qui a subit une forte dépréciation. Egalement, le recul, à la fin de 2018, des IME, premier secteur exportateur, constitue une nouvelle tendance préoccupante.
Pour 2019, Afif Chelbi a précisé que la loi de finances a prévu un taux de croissance de 3,1% et un déficit budgétaire de 3,9%. Ces prévisions dépendront encore du tourisme et de l’agriculture. Mais nécessitent impérativement une reprise des secteurs manufacturier, phosphatier et énergétique. Il faudra, selon ses dires, faire face à une baisse attendue des exportations d’huile d’olive exceptionnelle en 2018. D’où l’importance du Plan de relance.
Pour faire face à ces fragilités, le CAE a présenté un Plan de relance comprenant une centaine de mesures. Sur ces 100 mesures, 30 sont à caractère législatif. Les 70 autres mesures révélant un caractère réglementaire ou relevant de programme d’action à mettre en œuvre.
Après la loi de finances, une loi de relance économique
La loi de finances 2019 a adopté huit de ces 30 mesures. Aussi et pour compléter la loi de finances qui ne pouvait pas, à elle seule, porter toutes les mesures de relance, le CAE avait proposé de promulguer au cours du premier trimestre 2019, une loi de relance.
M. Chelbi a estimé que le projet d’une telle loi de relance économique et d’amélioration de l’environnement des affaires, sera présenté à l’ARP en mars 2019. Notons que le coût des mesures proposées sera tout à fait compatible avec les contraintes budgétaires. Ce coût pouvant, en outre, être compensé par les effets induits de ces mesures en termes de croissance et de réduction de l’informel. Il ne s’agit donc nullement d’une relance keynésienne par les dépenses publiques.
Mais l’enjeu est, selon ses dires, loin d’être budgétaire. Il est plutôt idéologique et concerne la vision de politique économique qu’on veut pour la Tunisie. Celle d’un Etat développementaliste, à la fois social et «business.friendly». Cet Etat vise à instaurer une discrimination positive en faveur des activités de production au détriment des activités d’importations et de rentes. Ou un Etat d’un « laisser faire » qui n’est pratiqué nulle part au monde en tant que politique économique.
A cet égard, le président du CAE a souligné que le Plan de relance repose sur l’idée de constituer la nouvelle « loi 72 » du 21ème siècle, et avoir le même effet transformatif qu’avait eu cette loi, considérée la plus importante mesure de politique économique depuis 50 ans.
Or, le cadre dans lequel évoluait l’entreprise en 1972 est obsolète aujourd’hui. D’une implantation isolée dans une zone industrielle rudimentaire, l’entreprise a besoin d’évoluer dans tout un écosystème favorable.
Pour cela, M. Chelbi a évoqué qu’un package de mesures est nécessaire pour remplacer cette loi par les 5+ suivants qui intègrent les 100 mesures du Plan de relance.
Les 5+ des 100 mesures du Plan de relance
- Plus d’affirmation de l’autorité de l’Etat de droit. Il s’agit essentiellement d’appliquer les décisions de protection des sites de production et de lutter contre le commerce parallèle. Il s’agit, aussi d’avoir plus de facilitations administratives ainsi que de lever les entraves pour libérer les initiatives et remonter dans les classements internationaux.
- Plus d’appuis aux secteurs productifs. Et ce, à travers une bonification d’intérêt pour les crédits PME afin de contenir les effets de la hausse du TMM. En tant que dégrèvement physique pour les investisseurs, maisons de l’entrepreneuriat, banque des régions, réformes micro-crédit et capital risque, mesures sectorielles…
- Plus de soutien de la monnaie nationale. Tout en mettant en oeuvre urgemment un véritable Plan Dinar. Ce dernier qui sera lancé d’ici deux mois.
- Plus de formation et de recherche adaptées aux besoins du système productif. Et ce, avec les réformes à engager en matière de formation professionnelle, d’éducation, d’enseignement supérieur et de recherche.
- Plus d’infrastructures physiques, logistiques et technologiques. A l’instar des technopôles, pôles urbains d’attractivité, corridors autoroutiers, quais 8 et 9 au port de Rades, port en eau profonde d’Enfidha…
Les pactes de compétitivité
Egalement, le CAE a proposé un mode opératoire. A travers la consignation de ces mesures dans des pactes de compétitivité à établir entre les pouvoirs publics et les principaux secteurs.
Dans ce cadre, l’Etat s’engage, selon M. Chelbi, sur la mise en œuvre des mesures horizontales et sectorielles spécifiques. Les secteurs s’engagent, de leur côté, sur la réalisation d’objectifs d’investissement, d’exportation, d’emplois et d’innovation. Le premier de ces pactes, le pacte textile qui a été signé le 23 février 2019.
Ainsi, il a déclaré que ces pactes de compétitivité ont vocation à être des pactes pour le développement économique et l’équité sociale. Ils seront au nombre de 20 pactes sectoriels et un pacte global. Ils constitueront un instrument clé de politique économique pour une mobilisation nationale autour d’objectifs à l’horizon 2025, à la hauteur des aspirations populaires.
Objectifs de la vision Tunisie 2025 : pour un modèle de développement renouvelé
Afif Chelbi a précisé que ce modèle de développement devrait être :
- Plus ambitieux internationalement. Pour dépasser 4% de croissance, réduire les déficits et redresser la valeur du dinar en 2025, il faudra doubler les exportations, leur contenu technologique et les investissements par rapport à 2017.
- Plus inclusif régionalement. Les zones de développement bénéficieraient de 40% des investissements publics et de 30% des investissements privés. Soit un volume global d’investissements de 50 milliards sur 10 ans.
- Plus durable écologiquement. L’indépendance énergétique devrait être à la hauteur de 75% en 2025 contre 48% en 2017 et 93% en 2010. Et la part de l’énergie renouvelable dans la production électrique devrait être de 20% en 2025 contre 1% en 2017.