Quel bilan peut-on faire de 63 ans d’indépendance ? Quels sont les acquis? Nous avons posé ces questions à Wahid Ferchichi et Salsabil Klibi. Ils nous ont répondu.
Wahid Ferchchichi, enseignant en droit public a souligné que l’indépendance se fête et se fêtera toujours.
Cela dit, il a mis en exergue la nécessité d’évoquer sérieusement l’indépendance au sens juridique du terme. Il a rappelé qu’en 1956, la Tunisie a obtenu une indépendance d’un point de vue politique. Après la guerre de Bizerte, elle a été suivie de l’indépendance militaire.
Il précise dans ce contexte : « Je pense que depuis, nous souffrons d’un manque d’indépendance, d’un protectorat juridique, notamment en matière de liberté individuelle. Et aujourd’hui c’est l’occasion d’exiger cette indépendance juridique. Cela veut dire, que nous devons nettoyer le code pénal tunisien de tout l’héritage colonial et je cite tous les articles 226, 227, 228, 230, 231, 232, 236 qui traitent tous de la protection de la moralité. »
Et de poursuivre : « Il faut revoir les articles introduits au code pénal tunisien à partir du code pénal français de l’époque. Car, on les considère, à ce jour, comme relevant du patrimoine national tunisien. Or, je rappelle qu’il s’agit d’un patrimoine colonial. Et il est temps de proclamer l’indépendance juridique ».
Bilan de 63 ans d’indépendance
Par ailleurs, Salsabil Klibi, enseignante en droit constitutionnel à la faculté des Sciences juridiques et membre de l’Association tunisienne du droit constitutionnel, dresse un bilan de 63 ans d’indépendance, qui, selon elle est très inégal à plus d’un égard.
Elle souligne : » On peut dire aujourd’hui qu’il y a deux sortes d’indépendance. Une par rapport à la colonisation, la première la plus marquante de l’histoire de la Tunisie. Et la seconde a été déclenchée en 2011 par rapport à la dictature. » Autrement dit, deux temps, deux états des lieux et deux bilans.
Elle précise dans ce contexte que le premier bilan est contrasté sur le plan de la consécration textuelle des droits et des libertés.
En effet, « la Constitution de 1959 était une Constitution assez généreuse. Car si on renvoie au chapitre I qui s’intitule « principes généraux des droits et des libertés », on peut dire qu’elle a été plutôt généreuse. Surtout au fil des modifications et des révisions qu’elle a connues, notamment la révision de 2002. Celle ayant introduit avec l’article 5, pour la première fois dans l’histoire du droit positif tunisien, le caractère universel indivisible et complémentaire des droits de l’Homme ».
Et de poursuivre : « Il ne faut pas oublier que l’Etat garantit les droits de l’Homme dans leur universalité, dans leur complémentarité et dans leur inséparabilité ».
Les droits proclamés par la constitution sont-ils effectifs ?
Qu’en est-il aujourd’hui en matière des droits de l’Homme en Tunisie?
Sur le plan constitutionnel, elle répond : » La législation n’a pas suivi. Parce qu’aujourd’hui, nous sommes en train de vivre la même chose. Il n’y a pas eu de lois qui permettaient de rendre effectif les droits qui ont été simplement proclamés dans la Constitution. »
Et de conclure : » On peut dire que la Constitution de 2014 était généreuse dans la perception des droits de l’Homme. Les droits et les libertés ne se limitent pas à la liste qui figure dans le chapitre des droits et libertés, ni à la simple référence dans le préambule.
On ne peut pas comparer 50 ans à huit ans, car les circonstances ne sont pas les mêmes. Et nous sommes dans un contexte politique totalement différent. »