Le chef de l’Etat s’est adonné, le 20 mars 2019, à une attaque en règle de Youssef Chahed et de son allié du moment, Ennahdah. Et il est impossible de croire qu’il n’ira pas crescendo pour faire mal au chef du gouvernement. Surtout s’il a l’intention de se porter candidat à la présidentielle de novembre prochain.
Ceux qui pensent que le différend entre Mohamed Béji Caïd Essebsi et Youssef Chahed peut connaître une issue favorable se sont largement trompés. Le discours prononcé, mercredi, 20 mars 2019, par le chef de l’Etat, à l’occasion du 63ème anniversaire de l’indépendance (1956), montre bel et bien que la rupture est consommée entre les deux têtes de l’exécutif.
Evidemment, et comme dans pareille occasion, les commentaires vont fuser de partout et l’on entendra, comme on dit, la chose et son contraire. Sans oublier les commentaires exprimant des partis pris pour l’un ou pour l’autre des deux premiers responsables de l’Etat.
Quatre observations semblent cependant nécessaires à faire, concernant un discours qu’une bonne partie des Tunisiens attendait. Tout a été fait pour qu’un soin et une attention particuliers soient prêtés à l’événement.
La première est que le chef de l’Etat a bien choisi le moment et l’occasion pour dire tout ce qu’il avait depuis quelque temps sur le cœur et que tout le monde savait plus ou moins. Quel meilleur moment qu’une rencontre qui rassemble tout le gouvernement, les principaux responsables de l’Etat, les représentants des partis, de la société et la presse ? De surcroît organisée cours d’un grand événement national.
Il prend l’opinion à témoin
La seconde est que la rupture consommée et annoncée ne pourra plus connaître un retour en arrière. Le chef de l’Etat a dit du reste en quelque sorte que la rupture était « irréparable ». Puisque fruit d’un « système » mis en place avec la Constitution de janvier 2014. Il prend à témoin l’opinion, dans cet ordre d’idée, sur deux éléments.
Primo que les choix constitutionnels élaborés par la « Troïka », comprenez Ennahdah, principale composante de cette dernière et de l’Assemblée constituante, qui a voté le texte de la Constitution, ont enlevé tout pouvoir réel au président de la République, premier magistrat du pays et seul responsable politique élu dans un vote direct et secret par tous les Tunisiens. Lui refusant tout droit d’agir sur l’évolution des faits concernant la vie quotidienne des Tunisiens. On comprend le ridicule, à ses yeux, d’un tel choix.
Secundo, le chef du gouvernement, Youssef Chahed, a « violé » la constitution en refusant d’associer le chef de l’Etat à une prise de décision sur la constitution du gouvernement. En faisant remarquer au passage le côté perfide du parti islamiste qui a troqué l’alliance avec le chef de l’Etat et Nidaa Tounes pour une autre avec Youssef Chahed et son groupe naissant à l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP).
Troisième observation ? Le chef de l’Etat a voulu nuire au chef du gouvernement en s’adonnant à la critique de son action, en mettant en exergue ses échecs économiques. Et donc ses difficultés à pouvoir gérer le pays. Est-ce Youssef qu’il visait en mettant en évidence la différence entre un « homme d’Etat » et un « homme politique » ? On ne pourrait que le penser en écoutant le chef de l’Etat qui a pris le pli de prononcer et des phrases assassines et des propos plus ou moins sibyllins.
A-t-il fait une mauvaise appréciation ?
Il a pour se faire pris pour preuve les déclarations du gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT), Marwane Abassi, devant l’ARP, le 25 février 2019, au sujet de l’augmentation du taux directeur de la BCT sur la responsabilité de la politique actuelle dans la crise économique actuelle. Une citation loin d’être anodine : la BCT est indépendante de tout pouvoir, qu’il soit exécutif ou législatif, et bénéficie de ce fait d’un réel crédit.
Quatrième et dernière observation, le chef de l’Etat assume somme toute une responsabilité dans la détérioration de la situation actuelle qu’il a sévèrement décrite. A deux niveaux au moins : n’est-il pas celui qui a choisi Youssef Chahed et avant lui son prédécesseur, Habib Essid ? S’il semble décrire sous un mauvais jour l’alliance du chef du gouvernement et de son groupe parlementaire à l’ARP avec Ennahdah, qui ont trusté le pouvoir exécutif, n’assume-t-il pas, par ailleurs, une responsabilité pour avoir choisi une alliance que certains pensent contre nature avec le parti islamiste ? A-t-il, à ce propos, lui qui a une large expérience de la politique, fait une mauvaise appréciation ?
Ces dernières questions ne peuvent que travailler plus d’un, au moment où les élections approchent et que les choix vont se faire pour tel ou tel camp. Sans oublier d’ajouter que maintenant que les choses sont claires dans les relations entre les deux hommes, il est impossible de croire que le chef de l’Etat n’ira pas crescendo pour faire mal à Youssef Chahed. Il a tout à gagner. Surtout s’il a l’intention de se porter candidat à la présidentielle de novembre prochain.