Nous publions cette note en guise de présentation de la XXIème édition du Forum de L’Economiste Maghrébin qui se tiendra à Tunis le 3 mai 2019 sur le thème : « La Tunisie et le nouvel ordre commercial mondial ».
La Tunisie a choisi de longue date la voie de l’ouverture et des échanges internationaux pour son développement économique. L’ouverture ne va pas sans la réforme et une adaptation continue aux réalités internes et externes qui sont aujourd’hui un impératif absolu.
L’évolution récente des échanges et de l’attractivité de la Tunisie est préoccupante.
Par ailleurs, à côté des turbulences actuelles que subit le commerce mondial du fait de comportements protectionnistes et antl-multilatéralistes, les tendances lourdes des chaînes de valeur, telles que décrites par Mc Kinsey renforcent la nécessité des adaptations .
Une économie tunisienne à la peine
S’agissant de l’intensité du commerce (I+X/PIB), avec 90%, la Tunisie égale le taux moyen de l’OCDE et excède de 10% celui de l’Union Européenne. De ce point de vue, la Tunisie devance le Chili, l’Afrique du Sud, la Corée ou le Mexique.
Les exportations sont passées, en cinquante ans, de 25 à 50% du PIB grâce au secteur manufacturier (de 18 à 37% soit 72% des exportations tunisiennes).
Elle a su mettre en place un régime offshore attractif. En 2016, le secteur offshore fournit 78% des exportations (hors énergie) pour 36% des importations (hors énergie) avec un solde représentant 9% du PIB. 34% des emplois formels soit 19,3% de l’emploi total lui sont imputables.
La Tunisie bénéficie d’atouts qui la placent en tête de nombreux pays émergents. Elle est au vingt-sixième rang des pays pour la complexité économique de ses exportations.
Les principaux atouts sont :
- Gamme étendue de produits à l’export
- Industries mécaniques et électriques, premier poste d’exportations
- Bonne intensité en technologies et compétences
Une des faiblesses est sa concentration sur quelques clients : les 4 premiers (France, Italie, Allemagne, Espagne) représentent plus de 60% des exportations.
Le Maghreb est destinataire d’à peine 10% des exportations tandis que l’Afrique subsaharienne, bien qu’en croissance, ne reçoit que 3% des exportations tunisiennes.
La Tunisie bénéficie aussi d’une bonne insertion dans les chaînes de valeur (amont et aval) grâce à sa présence dans les produits électroniques, les industries mécaniques et électriques, le textile et l’habillement, la chimie, l’agro-alimentaire et les services aux entreprises. Elle est ainsi à égalité avec l’Espagne, mais en meilleure position que le Portugal, le Maroc, la Hongrie. Elle connaît une bonne tenue des services avec un solde excédentaire mais des restrictions existent qui brident leur développement.
Les forces de l’économie tunisienne apparaissent menacées
Car, si le solde des flux entrant et sortant de biens et services ainsi que les flux d’investissements donnent une idée de la compétitivité et de l’attractivité de la Tunisie le diagnostic devient inquiétant et n’est donc pas favorable.
Le solde commercial est déficitaire de près de 11% en 2018, soit le taux le plus élevé jamais enregistré. En volume, les exportations ont progressé de 3% contre plus de 4% l’année précédente. Cette augmentation est due à la bonne tenue des produits agricoles et agroalimentaires (passés de 10 à 13 % des exportations). Les exportations de produits manufacturés (industries électroniques) connaissent un ralentissement sensible. La compétitivité-prix de la Tunisie (dépréciation du dinar face à l’euro de 15% en 2018, après 20% en 2017)ne manifeste donc que timidement ses effets positifs.
Investissements directs étrangers
La même évolution inquiétante paraît se dessiner pour les IDE. Selon les statistiques de la CNUCED, la Tunisie est un des pays émergents où, rapporté au PIB, le stock des IDE est le plus élevé : 70% en 2016 contre 40% dans l’OCDE ou 50% au Mexique.
Ces dix dernières années le rééquilibrage s’est fait en faveur de l’industrie manufacturière qui représente maintenant 46% des flux contre 18% tandis que l’énergie (surtout hydrocarbures) est passée de 61 à 38%.
Mais, le flux des investissements s’est réduit avec un flux de 1% à peine du PIB aboutissant à une réduction du stock d’IDE. L’attractivité du site Tunisie s’est dégradée dans les différents classements : au 95ème rang de Doing Business.
Insuffisance de l’épargne et endettement extérieur
Ce phénomène est d’autant plus négatif que la Tunisie souffre d’une faible épargne interne, de l’ordre de 10% (taux trois à quatre fois inférieur à ceux des pays asiatiques émergents). En 15 ans, le taux d’investissement des entreprises non financières a chuté de 14 à 8,8%. Pour réaliser un taux d’investissement à peine suffisant (20% du PIB environ, en baisse de 5 points en 10 ans), la Tunisie doit recourir massivement à l’endettement extérieur. La dette est maintenant proche de 90%. Les comptes extérieurs sont gravement déséquilibrés : 11% du PIB pour la balance commerciale, celle des services ne dégage qu’un faible surplus. Les IDE se réduisent.
Les mutations des échanges mondiaux : risques et opportunités
La mécanique des échanges internationaux a été un facteur important de la croissance mondiale et de la mise en place d’une interdépendance inscrite dans les chaînes de valeur. Une part croissante de la production a fait l’objet de transactions internationales, le commerce mondial a connu une période de croissance rapide avec un taux qui était un multiple de celui du PIB mondial. La théorie des avantages comparatifs explique que ces échanges pourraient être bénéfiques aux parties prenantes et tempérer les effets de l’échange inégal. Les chaînes de valeur ont fait que les échanges ont porté de plus en plus sur des produits intermédiaires, accentuant les liens d’interdépendance entre fournisseurs et clients.
Ces phénomènes ont été observés de 1970 jusqu’au début des années 2000 mais depuis les courbes se sont inversées.
La crise de 2017-2018 a amputé de moitié le rythme de croissance du commerce mondial tandis que les chaînes de production se sont resserrées et ont eu tendance à se restreindre géographiquement.
Une récente étude de l’institut Mac Kinsey analyse de manière détaillée ces évolutions. En ayant à l’esprit la Tunisie et ses échanges extérieurs, certains constats sont intéressants à relever :
- Moindre internationalisation des échanges ; la part des biens produits qui sont exportés est passée, en dix ans, de 28,1% à 22,5%, soit une contraction de 20%.
- Montée en puissance des services commercialisés internationalement avec un taux de croissance supérieur de 60% à celui des marchandises, compte non tenu des services intérieurs et de la comptabilisation du coût d’accès à l’information.
- Coût du travail, facteur d’attractivité en déclin, l’économie reposant de plus en plus sur la connaissance ; l’automatisation tend à chasser le travail manuel à bas coûts. Phénomène qui s’amplifie avec la généralisation de l’intelligence artificielle. Les pays qui privilégient la recherche, l’innovation, la protection de la propriété intellectuelle sont les mieux placés dans la compétition mondiale.
- Renforcement de l’intégration régionale, à rebours de ce que s’est produit jusqu’en 2012. Cela est vrai particulièrement pour les pays émergents à croissance élevée et à taux d’intégration régionale encore peu élevée, notamment en Afrique.
Les conférenciers de la XXIème édition du Forum de L’Economiste Maghrébin