Miser sur l’égalité des genres, oser et arriver à s’imposer. Le forum de l’égalité du genre qui se tient à la Cité de la Culture met en lumière les droits des femmes et l’égalité des genres, ou l’égalité entre les femmes et les hommes. Présente lors de l’événement Houda Cherif, activiste de la société civile, livre son analyse. Interview :
Sommes-nous arrivés à faire disparaître les inégalités des genres ?
D’abord, il faut faire la différence entre les droits des femmes et l’égalité des genres ou l’égalité entre les femmes et les hommes. C’est vrai que les deux optiques vont dans la même direction et vise à faire disparaître les inégalités basées sur les sexes. Mais il faut éclaircir les terminologies.
Les droits des femmes comprennent tous les dispositifs législatifs en relation avec les droits civiques, civils, politiques, socio-économiques et professionnels des femmes. Cela inclut aussi leur droit à disposer de leur corps. Donc quand on parle des droits des femmes, nous sommes exclusivement focalisés sur les femmes. Dans l’égalité des genres, le focus est sur les femmes et les hommes en même temps. Les spécificités des deux sont pris en considération et les inégalités sont examinées à partir des angles de vue des deux, les femmes et les hommes.
Comment atteindre l’inclusion de la femme dans un monde dominé par des hommes ?
Ce qui nous emmène vers une démarche plutôt inclusive qu’exclusive. Car en fin de compte, l’objectif de l’égalité n’est pas l’exclusion de l’homme. Mais l’inclusion de la femme dans un monde de domination masculine imposée. Et cela ne peut se concrétiser que si les deux sont pleinement conscients de cette injustice. Je dois avouer que dans certains cas, même les femmes ne sont pas conscientes de cette injustice.
En effet, les femmes et les hommes doivent se mettre ensemble pour remédier à ces inégalités et créer une nouvelle situation meilleure… Cependant, il faudrait peut-être que chacun trouve son intérêt dans cette nouvelle situation.
C’est à mon avis à cela qu’on devrait réfléchir sérieusement… Comment amener l’homme à défendre l’égalité alors qu’il ne se sent pas concerné ? Comment agir sur les mentalités, les habitudes, les traditions, les stéréotypes ?
Adhérez-vous à l’idée que le problème des inégalités est fondé sur les mentalités ?
Le problème des inégalités en Tunisie n’est pas une question de lois ou de droits. Le problème des inégalités en Tunisie est principalement fondé sur les mentalités et les habitudes et c’est à ce niveau qu’il faudrait agir.
La solution est claire : pour ce faire, il faudrait chercher les bonnes pratiques et explorer les expériences des pays qui nous devancent. Et arrêter de se voiler la face en pensant pour ne pas dire en prétendant que tout va bien… Oui cela va bien sur le papier, mais pas vraiment dans la réalité.
D’ailleurs, quand on examine les postes de prise de décision, la Tunisie demeure très loin de l’égalité, malgré tous les efforts. C’est ce qu’a indiqué le rapport de l’OCDE. 35.8% de l’ensemble des emplois fonctionnels de la fonction publique en Tunisie (Secrétaire général de ministère/ Directeur général/Directeur/ Sous-directeur /Chef de service) sont occupés par des femmes en 2016. Cependant, la présence de la femme varie de façon claire selon le niveau de responsabilité et diminue au fur et à mesure que le poste s’élève. Ainsi, les femmes représentent 40,2% des emplois occupés pour le poste de chef de service et 16,1% pour le poste de secrétaire général.
L’obligation de proposition d’une femme et d’un homme avant chaque nomination serait-elle suffisante ?
Revenons sur la dernière circulaire du chef du gouvernement concernant l’obligation de proposition d’une femme et d’un homme avant chaque nomination. Elle est à saluer, mais c’est une mesure qui ne peut être efficace que si l’on en contrôle la bonne application.
Dans d’autres pays, notamment en Allemagne, une déléguée à l’égalité au sein de chaque ministère assiste à tous les recrutements, nominations, promotions, passage de grade. Et elle joue le rôle de garde-fou de l’égalité au sein de la fonction publique, dans ce cas précis.
Peut-on changer les mentalités ?
Pour les mentalités, il faut agir de manière intelligente car on ne peut pas les changer d’un jour à l’autre… Par exemple le congé de maternité pourrait évoluer en congé parental… C’est important les appellations! Les deux parents doivent se sentir concernés. Les deux ont fait le choix d’avoir ce bébé et ils doivent assumer la responsabilité. Cela permettra à la femme de ne pas léser sa carrière avec des congés trop longs et donnera en même temps l’occasion au père de vivre l’expérience de la garde des enfants avec ses avantages et ses inconvénients. Cela lui donnera une idée sur le volume et l’importance du travail domestique. Ce qui, sur le long terme, va agir positivement sur les mentalités et favoriser une prise de conscience de la réalité des choses et pousser vers un rééquilibre de la situation. Bref, c’est un long chemin qui demande un travail de longue haleine.