Il faudra s’interroger au-delà de tout, et outre la portée d’une décision de confisquer le matériel d’une chaîne de télévision, sur ce qu’elle peut avoir pour bénéfice pour ceux qui l’ont notamment exécutée. Ce qui ne doit pas être interprété– loin s’en faut- comme une volonté de minimiser le fait que Nessma TV est en infraction !
Il va sans dire que Nessma TV ne s’est pas conformée aux exigences des cahiers des charges réglementant l’octroi d’une licence pour la création et l’exploitation d’une chaîne de télévision privée.
Il va encore sans dire que la saisie du matériel de cette chaîne a été opérée pour raison du non respect de ces derniers cahiers des charges après une notification d’infraction remise à la chaîne en octobre 2018 et que celle-ci n’a pas remis ses pendules à l’heure.
Reste que l’intervention des forces de l’ordre du jeudi 25 avril 2019 est le moins qu’on puisse dire bien inélégante. Faisons remarquer, à ce propos, une chose essentielle pour comprendre les développements qui vont suivre.
D’abord que la Haute Autorité Indépendante de l’Audiovisuel (HAICA), instance indépendante créée par le décret-loi 116 du 2 novembre 2011, relatif à la liberté de la communication audiovisuelle, ne peut toujours convaincre pour les raisons que tout le monde connaît.
Osons avancer trois qui semblent importantes. Elle est, primo, toujours là alors qu’elle doit laisser la placer, selon la constitution de janvier 2014, à une « Instance de la communication audiovisuelle » (article 127). Certes l’équipe de la HAICA n’est point responsable. Mais en faisant jouer la montre les pouvoirs exécutif et législatif ont compliqué sa situation. Le décret-loi 116 n’a pas, secundo, été remplacé par une loi (loi sur l’audiovisuel) qui ne pouvait que donner à une instance de régulation plus de crédit : cette loi traîne elle aussi. Le parcours de la HAICA n’a pas été sans faute, tertio, avec les absences de quorum, les démissions et autre abandon qui ont souvent entaché ses décisions.
Une façon de dire qu’il y a certes une loi et des décisions (que tout le monde se doit d’appliquer), mais qu’il y a aussi un contexte et des événements qui ne peuvent qu’impacter l’adhésion des uns et des autres à une loi ou à des décisions.
Il y a baleine sous graviers
Et dans ce cas précis, force est de préciser que le gouvernement a prêté le flanc à la critique. Personne ne peut empêcher effectivement plus d’un de s’interroger sur la confiscation du matériel de Nessma TV et de trouver qu’il y a, comme on dit, baleine sous graviers.
Pour dire donc que la décision est quelque part « politique ». Que penser d’un président de la HAICA, une instance constitutionnelle indépendante, qui dit, dans la conférence de presse donnée à l’occasion de la confiscation du matériel de Nessma TV, qu’il n’a pas été possible d’appliquer la même sanction à une autre chaîne, Zitouna TV pour ne pas la nommer, parce que celle-ci bénéficie d’un « soutien politique ».
Que penser ensuite du timing ? Et beaucoup sont allés, à ce niveau, dans des explications que certains peuvent trouver fantaisistes, mais qui valent selon d’autres le détour. A-t-on voulu taire, à la veille du Congrès de « Tahya Tounes » (qui est un soutien au chef du gouvernement), une voie discordante ? Nessma TV ne ménage pas le gouvernement et est connue pour avoir un ton bien critique à l’égard de l’action du gouvernement Chahed.
A-t-on voulu, en outre, à la veille du mois de ramadan, connu pour être un fort moment télévisuel, synonyme de fortes audiences et de recettes publicitaires, nuire à la chaîne la plus regardée en Tunisie ?
Difficile de faire croire, à certains du moins, qu’il ne s’agit pas là d’une décision administrative pour appliquer la loi. En témoigne les nombreuses réactions favorables que Nessma TV diffuse en boucle depuis jeudi 25 avril 2019.
L’UGTT vient au secours de Nessma TV
Il faudra s’interroger au-delà de tout cela, et outre la portée d’une telle décision, sur ce qu’elle peut avoir comme bénéfice pour ceux qui l’ont notamment exécutée. Ce qui ne doit pas être interprété–loin s’en faut- comme une volonté de minimiser le fait que Nessma TV est en infraction !
En réponse à cette question, il est utile sans doute de faire remarquer, d’abord, que la chaîne a gagné la sympathie de certains acteurs de la scène politique et associative. A commencer par l’Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT), dont le secrétaire général a affirmé que des « raisons politiques » sont derrière la décision de la HAICA.
Ensuite, qu’une confiscation de matériel n’empêchera pas Nessma TV de continuer à diffuser ses programmes. La technologie le permet. Quitte à diffuser de l’étranger.
Enfin, que cette décision peut radicaliser le patron de la chaîne, Nabil Karoui. C’est du moins l’impression qu’il a donné par ses propos au cours de la conférence de presse que Nessma TV a organisé, le 25 avril 2019, pour commenter l’action de la HAICA.