Hakim Ben Hammouda, économiste et ancien ministre des Finances, a publié, récemment, un essai intitulé : « Sortir du désenchantement. Des voies pour renouveler le contrat social tunisien».
L’Economiste Maghrébin a saisi cette opportunité pour interviewer l’auteur sur les messages transmis à travers ce livre. Dans cet entretien, Hakim Ben Hammouda va plus loin que le livre et évoque cinq pistes à explorer pour sortir le pays de la crise. Il s’est attardé sur le rôle des économistes et sur la crise de la pensée économique du pays. Il a proposé aux économistes professionnels, chercheurs, universitaires et experts de sortir de la recherche pure et d’opter pour la recherche appliquée au service de l’action publique.
Vous veniez de publier un ouvrage intitulé « Sortir du désenchantement. Des voies pour renouveler le contrat social tunisien ». En général quand on publie à la veille d’élections générales un ouvrage pareil, c’est soit pour faire campagne soit pour transmettre un message. Dans tous les cas de figure, derrière il y a incontestablement une prise de position. Qu’en est-il exactement ? On vient d’ailleurs d’apprendre que la première édition est déjà épuisée. Sitôt sortie à la Foire du livre.
Je me réjouis que la première édition soit épuisée. Cela prouve tout l’intérêt et que nos compatriotes portent pour les livres. Je voudrais tout d’abord rappeler que depuis 2011, j’ai pris l’habitude de sortir un livre, à l’occasion de la Foire du livre.
En Tunisie, on a de plus en plus en tendance à considérer la Foire du livre de Tunis comme le moment où les intellectuels du pays publient leurs livres, ouvrages et essais.
L’économie du livre en Tunisie est étroitement liée à la Foire du livre, c’est la raison pour laquelle mon livre sort à cette occasion. Cela dit, c’est aussi un ensemble de messages. Je voudrais souligner ici deux choses importantes :
D’abord, il y a une forte demande d’informations économique. Il y a un besoin de comprendre et une quête de sens de la part des citoyens. Cette quête est adressée aux économistes professionnels, universitaires et chercheurs et aux journalistes économiques, une quête de sens pour comprendre les difficultés de la situation économique que connaît notre pays. Ils veulent disposer d’outils pratiques pour la comprendre et l’analyser. Personnellement, je suis interpellé dans la rue, dans l’avion, un peu partout où je vais pour m’entendre dire : y a-t-il un moyen de s’en sortir ?
Le message essentiel que j’ai voulu développer dans cet essai consiste à rappeler que les gouvernements qui se sont relayés depuis 2011 se sont attaqués au dossier économique trop tardivement. L’économie est devenue depuis un long moment le parent pauvre de la transition et du débat public en dépit des efforts que l’Economiste maghrébin fait et que d’autres font. Donc il y a une marginalisation de l’économie. Aujourd’hui, la question économique revient avec une double difficulté.
La première, c’est qu’on analyse les questions économiques par le petit bout de la lorgnette. On s’intéresse et on s’inquiète à raison du déficit public, du déficit courant et de l’inflation sans les placer dans leur contexte global.
Ce que j’ai voulu faire dans cet essai, c’est montrer que la détérioration des grands équilibres tout autant que les carences en matière de croissance ne sont que les signes visibles d’un mal beaucoup plus profond. C’est ce qui explique l’ampleur des difficultés que nous connaissons aujourd’hui. Le mal le plus profond, c’est que l’Etat post- colonial, fraîchement indépendant, a élaboré un contrat social basé sur un échange entre l’Etat et les citoyens. Ces mêmes citoyens ont accepté de quitter l’espace public et ont laissé l’Etat gérer le politique.
En contrepartie, l’Etat a mis en place un Etat providence qui a été à l’origine de l’accès à l’éducation, à la santé, à la promotion sociale par la mise en place de caisses sociales de solidarité.
C’est l’essence même du contenu du projet de Bourguiba, c’est-à-dire un Etat fort avec une dérive autoritaire, mais un Etat capable aussi d’assurer les conditions de base d’une vie décente et une certaine forme de promotion sociale.
La deuxième difficulté sur laquelle j’ai voulu attirer l’attention est liée à la nécessité de changer de paradigme pour parer au déficit d’Etat et pour s’inscrire dans la nouvelle réalité.
D’où l’enjeu de penser à reconstruire et à mettre en place les jalons d’un nouveau contrat social, un contrat social rénové démocratique et citoyen. Ce contrat doit assurer deux choses.
La première est de tout faire pour sortir de la problématique de l’Etat providence et s’inscrire dans la logique, la démarche de l’Etat à la fois stratège et émancipateur.
L’Etat aura, ici, un double effet, voire une double fonction. Il s’agit pour l’Etat de jouer son rôle de régulateur de l’ordre économique et social mais surtout d’assurer les conditions collectives d’accès à un certain nombre d’infrastructures : santé, éducation…
Il s’agit en même temps de donner aux individus les moyens de s’émanciper, d’investir et de se positionner dans les filières d’accès Une des questions que je soulève aujourd’hui, c’est le fait que les politiques économiques mises en place, jusque-là, sont dominées par le conformisme.
Les politiques budgétaires ont prouvé leurs limites en l’absence d’une véritable politique de l’offre, que faire selon vous ?
Face à la crise que connaît le pays, il me semble capital de faire preuve d’un minimum d’honnêteté et d’admettre la difficulté de la situation économique et la difficulté qu’il y a pour apporter des réponses. De ce point de vue, il faut être honnête.
Il faut se garder de vendre des chimères. Il ne faut pas dire que les choses sont faciles à changer. Tout cela pour dire que tout prochain gouvernement sera confronté à une situation économique difficile. Ne serait-ce que parce qu’on a pris du retard.
Mais malgré tout, votre livre est assez critique ?
Mes reproches voire mes critiques des politiques économiques menées se résument en deux remarques majeures.
La première réside dans l’absence d’une vision d’ensemble d’un projet économique. On a l’impression que chaque département travaille en totale autonomie par rapport aux autres. C’est difficile aujourd’hui d’avoir une idée précise sur la vision économique d’ensemble à travers des actions ponctuelles.
Or la disponibilité, c’est à dire l’existence d’une vision économique éclaircit la voie et aide beaucoup, car elle donne un sens aux actions des différents départements.
La deuxième remarque que j’évoque, depuis un an et demi, est liée à l’absence de cohérence entre les différents instruments de la politique économique.
Lors de la dernière augmentation par la Banque Centrale de Tunisie (BCT) du taux directeur, j’ai attiré l’attention sur la discordance entre la politique budgétaire et la politique monétaire.
En principe, la politique budgétaire de 2019 est une politique de relance. On peut être d’accord ou ne pas l’être, mais le choix a été pris dans ce sens.
La BCT a décidé de sortir de la politique accommodante, voire expansionniste, qui a caractérisé jusque-là la politique monétaire. Mais cette sortie, au motif de lutter contre l’inflation, va avoir des effets négatifs sur les mécanismes de relance.
Conséquence : il y a un problème de cohérence et d’harmonisation des politiques monétaire et budgétaire. La question est de savoir quelle est l’institution, la structure du pouvoir qui doit définir la nécessité de cette cohérence arbitrage sachant qu’une des conditions de réussite, c’est sa cohérence.
L’augmentation des prix du carburant relève de cette logique de manque de cohérence, c’est-à-dire, elle remet en cause de manière directe et définitive deux aspects. Elle va avoir un effet inflationniste, donc elle remet en cause la politique monétaire dans la mesure où ses effets seront absorbés par la nouvelle hausse.
Le 2ème aspect est perceptible à travers son impact sur les effets de relance. Aujourd’hui, on estime que ce relèvement des prix et la diminution de la compensation vont avoir des effets sur la croissance économique.
Donc, il y a un vrai sujet de préoccupation au-delà de la situation économique, c’est l’incohérence des politiques économiques et la nécessité d’y remédier.
Il y a urgence de donner un sens au contenu de cette politique économique. On peut dire que la politique économique actuelle est une politique d’austérité. A ce propos, je ne suis pas, pour ma part, d’accord avec ce choix. Mais, au moins les choses doivent être claires.
En toute logique économique, la politique budgétaire et la politique monétaire doivent aller dans le même sens. On peut considérer aujourd’hui qu’un minimum de relance est nécessaire. Il est évident que la politique budgétaire et celle monétaire ainsi que les autres instruments d’intervention doivent converger et aller dans le même sens. Donc, c’est un problème de vision, de choix. La question est donc de savoir quelle stratégie adopter, quel sens donner à la politique économique.
Il est un autre aspect que je n’arrête pas de soulever, c’est l’aspect institutionnel : il s’agit de savoir en effet où se définit actuellement la cohérence de la politique économique. C’est, me semble-t-il, au niveau du gouvernement qu’elle doit se définir. Mais, elle fait intervenir un grand nombre d’acteurs et intervenants. Je n’ai pas, malheureusement, connaissance d’efforts de nature à assurer la cohérence de cette politique.
A vous entendre parler d’absence de cohérence et d’absence de concertation à tous les niveaux, de déficit de l’autorité d’Etat, on est tenté de vous faire remarquer qu’on est très loin du nouveau contrat social dont vous parlez dans votre ouvrage ?
HBH.-Je suis tout à fait d’accord avec vous quand vous dites que la crise a été aggravée par un déficit d’Etat et qu’il y a nécessité de rétablir l’autorité de l’Etat de manière ferme mais de manière transparente et claire aussi. Il faut impérativement que ce déficit de l’autorité de l’Etat cesse. Je pense que l’économique ne peut pas fonctionner en l’absence d’une véritable stabilité, de l’exercice de l’autorité de l’Etat pour faciliter les investissements, et les réformes nécessaires pour rétablir la croissance.
L’autorité de l’Etat n’est pas seulement formelle et ne se réduit pas seulement à plus de personnel sécuritaire. L’autorité de l’Etat c’est aussi et surtout restaurer la confiance. C’est aussi montrer qu’il y a de la clarté et de la cohérence et de la crédibilité dans le choix de la politique économique.
Elle a un aspect formel c’est sûr, en l’occurrence, le maintien de l’ordre et de la sécurité mais elle a un aspect de contenu qui est une vision claire. L’ultime but étant de faire en sorte que les gens soient rassurés sur l’existence d’une vision, que les décisions ne soient pas contradictoires, que les décisions de politique économique soient tout simplement cohérentes. Car on ne peut annoncer une chose et son contraire quelques jours après.
Lorsque l’Etat annonce ce qu’il doit faire, il faut qu’il s’en tienne à ce qu’il dit. L’Etat qui dit ce qu’il fait et fait ce qu’il dit conforte sa crédibilité, et son autorité de la plus belle manière et bénéficient de la confiance des gens. Ces derniers sont rassurés que l’Etat n’est pas dans une démarche de promesses sans lendemain.
Parallèlement à la sortie de votre ouvrage, d’autres économistes du pays, en l’occurrence Mahmoud Ben Romdhane, Mustapha Kamel Ennabli, Mohamed Hédi Zaiem, Hachemi Aleya ont publié des essais. La question qui se pose dès lors est de savoir si le gouvernement profite de cette richesse intellectuelle en se concertant avec cette élite d’universitaires, chercheurs et anciens hauts cadres du pays pour l’aider à trouver des solutions à la crise ?
Il y a deux aspects qui me paraissent importants. Le premier, c’est qu’il y a aujourd’hui, de la part des économistes professionnels, des universitaires et des chercheurs une volonté de s’inviter dans ce débat national et de prendre en charge les questions économiques.
Bien évidemment, les cinq essais qui ont été pratiquement publiés à quelques mois des élections, traduisent à mon sens une quête et une demande incessante de la part des gens. C’est comme si on nous disait : vous les économistes, vous devez nous dire la vérité et nous aider à comprendre la situation.
En dépit des différentes sensibilités et analyses, les cinq ouvrages ont un point commun. Celui d’une profonde conviction qu’on peut changer les choses et qu’on peut améliorer la situation. Car cette crise n’est pas une crise éternelle, c’est une crise qu’on peut surmonter et à laquelle on peut apporter des réponses.
Mais il y a un point sur lequel vous avez insisté, celui de l’absence de concertation.
Personnellement, lorsque j’étais ministre et des finances, j’ai convaincu le chef du gouvernement d’organiser des rencontres et des consultations régulières avec des économistes de bords très différents. Ces consultations ont été couronnées par l’organisation d’un débat économique national.
Les gens l’ont critiqué mais le débat avait mobilisé plus de 300 experts et économistes. Malheureusement, aujourd’hui, nous manquons de consultations et de concertations. Je puis vous dire que je n’ai jamais été sollicité pour donner un avis de manière officielle. Certes les gens s’intéressent à ce que j’écris, à ce que je dis. Mais j’ai été rarement sollicité pour exprimer un avis, un point de vue.
Bien évidemment, il y a des concertations qui ont lieu dans le cadre du Conseil d’Analyses Economiques, mais je pense qu’une plus grande consultation et une plus grande concertation ne peuvent qu’aider les politiques publiques à aller de l’avant et à surmonter les difficultés.
Pourtant il existe un certain nombre de think-tank dans le pays, à l’instar du Conseil d’Analyses Economique ou de l’ITES qui font d’excellents rapports et formulent des propositions pertinentes
Tout à fait, le CAE doit avoir l’importance qui doit être la sienne. Il a publié plusieurs, rapports qui sont intéressants et pertinents avec des propositions très pertinentes, je pense que les pouvoirs publics ont intérêt à prendre en charge l’organisation d’un débat sur l’avenir de l’économie du pays et à faire de la concertation avec les experts et les économistes une tradition de travail, à l’instar de ce qui se passe dans les pays démocratiques.
L’ennuie est qu’on ne consulte et on ne se concerte qu’avec ceux avec qui on est d’accord. Or, ce qui est important en démocratie c’est de prendre en considération des avis différents et ne pas se limiter à ceux qui sont d’accord avec la politique suivie officiellement. Tenir compte des avis différents est très important pour pouvoir avancer. Un bon politique est un politique qui se remet en cause. Un politique qui a toujours un rapport avec ceux qui ne sont pas d’accord avec lui.
On a le sentiment que la crise n’est pas seulement une crise de l’économie matérielle mais plutôt une crise de la pensée économique en Tunisie ?
Quelque part, il y a une grande part de vérité. Je voudrais faire la remarque suivante.
On parle de l’exception tunisienne dans beaucoup de domaines mais s’il y a un domaine dans lequel se distingue la Tunisie, c’est bien au plan de la pensée économique.
Depuis les fondateurs, Chedli Ayari, suivi de la génération de Mustapha Kamel Ennabli, Hassine Dimassi, pour ne citer que ceux-là, on a aujourd’hui une génération de jeunes économistes. Avec cette élite, on peut, sans prétention aucune, avancer que la Tunisie dispose d’un des meilleurs viviers d’économistes en Afrique. Dans toutes les compétitions internationales, les économistes tunisiens se distinguent. On a une école qui maîtrise du point de vue théorique et méthodologique tous les nouveaux outils qui ont été développés en termes de modélisation et de contenu. Cette école est au coeur du débat économique universel.
Cela pour dire que nous disposons, aujourd’hui, de jeunes chercheurs plus avertis plus expérimentés, d’une tradition de réflexion et de recherche économique qu’il faut mettre à contribution pour pouvoir identifier les solutions aux difficultés auxquelles nous sommes confrontées.
Malheureusement, la politique économique se déploie, se décline au jour le jour. Elle est dans les recettes courantes et dans le conformisme. Elle ne cherche pas à innover. Elle a peur de sortir du carcan de la théorie économique traditionnelle. Pourtant, et je l’ai toujours dit, les moments de crise sont pour les économistes des moments de grandes innovations et de grande réflexion.
L’ennui est que chez nous il y a une certaine crainte, voire une certaine crispation, de sortir des sentiers battus. Sentiment, hélas, encouragé par le rôle négatif que jouent les institutions internationales qui poussent à ce que nous nous cantonnions dans des réponses classiques qui ne sortent pas de l’ordinaire.
De nos jours, il faut avoir le courage de prendre nos distances des réponses économiques classiques, d’innover, de s’armer de toutes les compétences des économistes tunisiens pour développer de nouvelles solutions, de nouveaux paradigmes et de nouvelles stratégies.
Quand on parle d’école on sous-entend un maître à penser. Qu’en pensez-vous ?
C’est vrai la spécificité de l’école tunisienne, c’est à la fois son éclatement et sa diversité entre différentes traditions théoriques, entre différents maîtres à penser entre les néo-keynésiens, les libéraux…
Mais globalement je pense que nous disposons d’une école riche avec des économistes qui ont une forte formation théorique et méthodologique et qui peuvent véritablement contribuer à résoudre les problèmes du pays.
D’où l’enjeu de mon appel : c’est d’ouvrir un débat économique, de faire en sorte que les gens puissent discuter entre eux et essayer de pousser les économistes à sortir de la recherche pure, de faire de la recherche appliquée tout en l’orientant vers l’action publique.
Quelles seraient selon vous les quatre ou cinq mesures capables de nous faire sortir de l’ornière ?
La première consisterait à faire souffler, respirer les finances publiques. Les finances publiques c’est comme la trésorerie d’une entreprise. Un chef d’entreprise, à la trésorerie défaillante traîne un lourd handicap. Il ne va pas bien. Il n’a pas le temps de réfléchir sur les moyens de développer son entreprise.
De ce point de vue, il s’agit d’attaquer de manière frontale la question de l’évasion fiscale et d’améliorer le recouvrement.
Je pense que les moyens qui ont été engagés en matière de recouvrement sont importants mais il faut les renforcer. Il faut impérativement faire un effort important en matière de recouvrement de la dette fiscale et de la dette douanière.
Parallèlement, l’accent doit être mis également sur la lutte contre le marché parallèle. J’ai souvent évoqué un certain nombre de lois qui ont été faites pour diminuer le payement en cash, je ne suis pas sûr qu’elles soient en train de produire leurs effets. J’ai proposé une solution radicale, en l’occurrence le changement des billets. Cette mesure mérite d’être mise à l’étude.
Pour l’Etat comme pour l’entreprise, il faut que la trésorerie soit en bon état. L’entreprise ne peut envisager de développement futur que lorsque son chef dispose d’un minimum de sérénité sur les règlements de fin de mois, sur les payements de ses charges, sur le payement de ses fournisseurs…
Il faut faire souffler les finances publiques pour que l’Etat et le gouvernement ne soient pas seulement fixés sur le respect des obligations de fin de mois et pour que le respect de leurs engagements ne soit pas une obsession qui empêche le ministre des Finances ou le chef du gouvernement de dormir.
La deuxième consiste en la relance des investissements en souffrance, qui connaissent des difficultés ou des retards à cause d’une autorisation qui tarde à venir ou d’un manque de coordination entre départements.
La bonne gouvernance consiste à tout arrêter et à ne s’occuper en priorité que de ce dossier. Cela prendra plusieurs semaines, mais le résultat sera spectaculaire. Rappelons ici qu’il y a un certain nombre de choses que seule la haute autorité du gouvernement peut régler.
Je pense que cette question constitue pour les organisations syndicales, tout autant que pour les organisations patronales, la priorité des priorités.
La troisième proposition concerne la question du change. Il faut à mon avis s’attaquer immédiatement à la question des devises. Procéder à la réforme du Code des changes et permettre aux Tunisiens de pouvoir ouvrir en Tunisie dans le système formel des comptes en devises au lieu de les avoir à l’étranger ou à la banque centrale
virtuelle de Ben Guerdane. Cette réforme me paraît essentielle et ne doit plus attendre davantage. Car l’Etat a grandement besoin de devises et la BCT en a tout autant besoin. Pourtant, paradoxalement, les devises existent dans le pays mais elles ne sont pas là où elles doivent exister. Il faut avoir le courage d’accélérer cette réforme.
Je suis sûr qu’en sautant ce pas et en rétablissant la confiance, ceux qui ont de l’argent à l’étranger n’hésiteront pas à s’inscrire dans cette démarche tout à l’avantage du pays, dès lors qu’ils sont assurés, grâce à une amnistie des changes, de disposer des moyens d’avoir un compte en euros ou en dollars à Tunis.
La Tunisie va alors profiter de cette situation et l’on verra s’alléger la pression sur la BCT et la balance courante.
La quatrième mesure c’est un chantier que j’ai entamé et que je n’ai pas pu poursuivre, à savoir la réforme du secteur bancaire. Nous avons besoin aujourd’hui d’un vrai secteur bancaire capable de prendre des risques en matière d’investissements. Il faut régler le problème des trois banques publiques.
Je pense que l’idée exprimée à maintes reprises d’avoir un pool bancaire public me paraît pertinente.
Nous devons engager de grands travaux. Nous avons besoin d’une institution financière capable de structurer les financements de grands projets. D’où l’enjeu de disposer d’un pool bancaire public solide, fort, dynamique disposant de moyens financiers conséquents.
La 5ème mesure concerne les mégaprojets. Nous manquons cruellement de grands projets dans ce pays. Les besoins sont énormes en termes d’infrastructure. C’est une mesure à engager immédiatement.
Ce que je voulais faire à l’époque où j’étais ministre, c’est d’engager un groupement de cabinets de conseil tunisiens pour concevoir et pour réfléchir sur la Tunisie de demain en termes d’infrastructures de ports et d’infrastructures numériques…
On ne peut pas réussir une conférence sur l’investissement si on n’a pas un pool de grands projets publics. Nous avons jusqu’à aujourd’hui organisé deux conférences sur l’investissement. Si ces deux conférences qui ont eu lieu en septembre 2014 et en décembre 2016 ont eu peu de résultats c’est parce qu’on n’avait pas de grands projets publics capables de mobiliser les investisseurs et de les attirer. Je peux évoquer d’autres mesures mais ces 5 mesures me paraissent prioritaires.
Elles auront un double effet, un effet macroéconomique dans la mesure où elles aideront le pays à mieux gérer les contraintes et la dérive de notre macroéconomie, particulièrement les comptes publics et les comptes externes. Et elles présentent l’avantage structurel de relancer l’investissement et notre compétitivité. Quant je parle des grands travaux, j’ai à l’esprit un grand dessein national capable de porter le rêve de la jeunesse tunisienne et redonner confiance. Le message est clair : dire ce que sera la Tunisie dans dix ans.
Nous voulons que les Tunisiens sacrifient tout au travail. Ils ont alors besoin de croire en quelque chose et de se mobiliser pour un idéal. On peut facilement mettre au travail les gens lorsqu’on leur présente un projet, un dessein, une ambition nationale.
Ceux qui ne rêvent pas n’iront pas jusqu’au bout de leurs efforts. Ceux qui n’ont pas confiance, hésiteront longtemps encore. Il faut s’interroger sur le déficit de motivation des gens.
Pensez-vous qu’il y a une crise de leadership ? Comment selon vous réenchanter les gens ?
Il y a, effectivement, trop de leaders. Trop peu d’entre eux portent des projets qui font rêver les gens. Réenchanter les gens c’est déjà un projet en soi. En l’absence d’un leader charismatique, ce sont des élites qui doivent mettre la main dans la main pour reconstruire le pays. Il y a des moments de crise où un leader naturel a du mal à émerger. Tout n’est pas perdu pour autant. Je pense que des équipes peuvent prendre en charge ce projet qu’il faut avant tout définir.