Des erreurs de diffusion à la télévision publique Al Wataniya 2 (6 mai 2019) et Al Wataniya 1 (15 mai 2019) ont retenu l’attention des téléspectateurs. Sabotage ou expression d’une déliquescence de l’un des éditeurs de services de télévision? Voici quelques pistes de réflexion pour comprendre ce qui a pu se passer.
L’affaire continue à occuper encore une partie de l’opinion. Le 15 mai 2019, la première chaîne de la télévision nationale, Al Wataniya 1, a diffusé un appel à la prière d’Al fajr en lieu et place de la prière d’Al moghreb, marquant la rupture du jeûne.
Une erreur, certains parleront de faute ou encore de bévue, parvenue quelques jours seulement après la diffusion sur la seconde chaîne publique (le 6 mai 2019) d’un sermon à la fin duquel des vœux ont été présentés à l’ancien président et à son épouse.
Et certains d’évoquer le sabotage. Les deux erreurs, jugent les défenseurs de cette thèse, sont tellement inexpliquées et inexplicables, qu’elles ne peuvent être fortuites. Ce qui n’est pas de l’avis d’autres qui voient là une démonstration supplémentaire de l’état de déliquescence dans lequel se trouve le service public de l’audiovisuel en Tunisie.
Les enregistrements portent la mention du type d’appel à la prière
Dans le premier cas comme dans le second, il aurait suffi de prendre les précautions d’usage qui consistent à visionner le programme avant diffusion et de s’assurer, notamment pour le second cas, d’avoir introduit dans le serveur le bon enregistrement. Les enregistrements portent cela dit la mention du type d’appel à la prière auquel on a à faire.
En fait, les « erreurs » qui de temps à autre surviennent pourraient-elles être mises sur le compte de la quasi-débandade qui marque un des services publics qui constituait, hier, sous les régimes autant de Bourguiba que de Ben Ali, un organe de souveraineté, hautement politique du moins ?
Ceux qui travaillent au sein des deux éditeurs publics de services de télévision vous diront que les choses ne sont plus ce qu’elles étaient du côté du Nord Hilton et que précisément elles ne sont plus, comme avant, gouvernées par la discipline sinon, et l’expression est d’un cadre de la Télévision Tunisienne (c’est l’appellation officielle), « par la crainte ».
La Télévision Tunisienne était dirigée directement par le Palais de Carthage et tout le monde savait à quoi s’en tenir : l’erreur tout le monde veillait à l’éviter et les responsables géraient la structure avec le souci de ne rien laisser passer.
La main de fer a été remplacée par une certaine anarchie
Evidemment cela se faisait dans un sens, celui de servir d’abord son maître, mais le résultat était là. Reste que cette explication ne peut suffire. La « quasi-débandade » a d’autres explications.
Parmi lesquelles, le départ à la retraite de nombreux cadres compétents formés à la dure et qui avaient une tout autre culture d’un service public de l’audiovisuel. Il faut dire que la libération de l’audiovisuel est passée par là et même ces derniers n’auraient pas pu faire régner la discipline après ce qui s’est passé le 14 janvier 2011.
Faut-il nier, à ce propos, que la main de fer a été remplacée par une certaine anarchie sinon par une situation de non-droit qui a vu les règles du jeu éclabousser tout un vécu. De nouvelles habitudes ont ainsi vu le jour comme ce « tourisme » éditorial, qui a vu des animateurs de la télévision publique travailler dans des chaînes privées sans la moindre autorisation, la séparation entre les rédactions et même l’appareil de production des émissions et la direction, alors que la loi fait assumer la responsabilité au premier responsable, l’intrusion de certains lobbys dans la gestion des chaînes…
Un phénomène global
Au-delà de tout cela, ne faut-il pas reconnaître qu’il y a là un réel problème de gouvernance ? Une gouvernance qui a ses outils, expressions d’une modernisation des modes de gestion. Et de ce côté des choses, et du fait sans doute du poids du passé, beaucoup ont oublié que dans l’audiovisuel comme dans tout média, la conquête des libertés ne suffit pas. Et faire porter le chapeau à l’un ou l’autre pour les erreurs qui ne manqueront pas de survenir ne résoudra pas le problème.
Un phénomène étant par essence toujours complexe et « total », pour reprendre une formule chère au sociologue français Marcel Mauss, d’autres explications peuvent être avancées. Comme le fait d’avoir touché aux contrats de productions réservés aux employés qui assuraient souvent des tâches plus ou moins délicates. Ils ont été remplacés par des heures supplémentaires. Servies du reste avec un certain retard.
Ne faut-il pas cependant dire, comme le croient beaucoup, que l’état de l’audiovisuel public ne peut être différent de tout l’appareil de l’Etat après la révolution tunisienne ? A croire que la dictature était une sorte d’anesthésiant !