Atténuer les répercussions de la migration professionnelle en Tunisie est un travail de longue haleine qui se fait à plusieurs niveaux. Ainsi, l’étude intitulée « Pour une migration professionnelle efficiente » est élaborée par le Magazine L’Économiste Maghrébin et le Cabinet ADVI pour le compte de la Fondation Friedrich Naumann pour la liberté. Elle expose tout un plan détaillé qui cible, la formation professionnelle, la profession de l’ingénierie et l’enseignement universitaire.
Les deux partenaires ont pris soin de présenter cette étude, lors d’une conférence de presse, aujourd’hui 21 mai, à Tunis. Sahar Mechri, directrice exécutive dans le groupe Promedia et Mohamed Madhkour du Cabinet ADVI ont fait le tour de cette problématique.
Les recommandations de l’étude ont porté sur trois secteurs qui sont marqués par le phénomène de la fuite des cerveaux à savoir la médecine, l’ingénierie et la formation professionnelle. Il en ressort que l’Etat, la société civile et le secteur privé doivent assumer leurs rôles.
Redonner à la santé publique et privée ses titres de noblesse
Ainsi, les recommandations émises par les auteurs de l’étude répondent à un certain nombre de problèmes de ce secteur primordial. La mise en place de mesures de répression efficaces contre tout acte de violence s’impose. Surtout que les médecins dans les hôpitaux ne se sentent pas en sécurité, à cause de la multiplication des cas de violence, après le 14 janvier 2011.
Par ailleurs, pour garantir une meilleure motivation du personnel médical et paramédical, les augmentations de salaires sont de mise. En effet, il a été constaté que la bonne majorité des étudiants en médecine est issue de familles très aisées. Raison pour laquelle, il faut revoir la gratuité de l’enseignement dans ce type d’études. De même, l’étude recommande la révision de la dernière réforme de la santé publique.
En effet, l’absence de mobilité est un véritable obstacle pour les médecins. Si certains médecins (internes, résidents et/ou étudiants) refusent de travailler dans les régions, c’est à cause du problème du manque d’équipement médical et du manque d’expertise. Ainsi, les principaux problèmes des médecins sont : le manque de matériel; la surcharge de travail pour les juniors ce qui crée un sentiment d’injustice; les problèmes de sécurité et l’absence d’un système de motivation et de sanction.
De la nécessité de valoriser les ingénieurs
Faut-il encore rappeler que les ingénieurs tunisiens sont sollicités par les entreprises européennes voire américaines ? Face à l’engouement des ingénieurs tunisiens pour le départ massif à l’étranger, l’étude recommande quelques mesures à prendre. Tout d’abord, le développement des filières stratégiques telle que l’informatique. Puis l’amélioration des conditions salariales en valorisant le traitement des ingénieurs dans les établissements publics.
Comment retenir les enseignants universitaires ?
L’étude recommande l’amélioration de la situation de l’enseignant universitaire. Cela est possible à travers, l’octroi des avantages permettant la valorisation du métier d’enseignant-chercheur et la mise en place d’un système d’évaluation juste qui se base sur la production scientifique.
Le secteur privé, la société civile et les citoyens doivent agir de leur côté. Le secteur privé doit renforcer son rôle en matière de responsabilité sociétale de l’entreprise et de formation. Il devrait mettre en place des politiques de rémunération valorisante. Pour garantir un meilleur épanouissement des employeurs, il doit améliorer l’environnement du travail. De son côté la société civile doit œuvrer pour la diffusion des valeurs de tolérance, et non de violence, de respect des personnes et des biens publics, ce qui est fondamentale.
Quelle réforme pour la formation professionnelle ?
L’Etat doit agir au niveau institutionnel. L’étude recommande de :
- Intégrer la migration comme un déterminant prévalant dans le choix d’accéder à la formation professionnelle et qui devrait, par conséquent, être un paramètre de détermination du niveau du remplissage des spécialités demandées.
- Renforcer et cibler la communication et la sensibilisation sur les atouts de la formation professionnelle, en y intégrant les relations et initiatives personnelles qui animent les relations avec les entreprises tunisiennes ou les recruteurs à l’international pour faire
des expériences acquises une stratégie globale et cohérente. - Instaurer une meilleure gestion des dispositifs et avantages de la politique active de l’emploi et des incitations offertes dans ce domaine en faveur de la formation pour l’insertion.
Par ailleurs, l’étude met en valeur la nécessité d’amorcer des dialogues régionaux et surtout sectoriels transversaux sur l’arbitrage entre satisfaction du tissu économique tunisien et le placement à l’international, afin d’amorcer une vraie lecture et dialogue régionaux sur ce potentiel.
Les titulaires de diplôme de formation professionnelle sont souvent pessimistes quant aux conditions favorables du marché du travail tunisien. Par ailleurs, la dévalorisation de tels métiers par la société tunisienne incite les jeunes à les quitter.
La migration professionnelle en Tunisie : les chiffres sont bel et bien têtus
Mohamed Madhkour, se basant sur le site officiel de l’Observatoire national de la migration (ONM) en Tunisie, affirme que les Tunisiens résidents à l’étranger représentent 1424 386, soit 12% du total de la population tunisienne. La population tunisienne s’élevant à 11 444 409 Tunisiens en 2017 (selon les derniers chiffres officiels), contre 11,3% en 2011. Il a affirmé que le genre masculin prédomine dans le phénomène migratoire avec un effectif de 892 259 (63%), alors que les femmes ne sont qu’au nombre de 532 127 (37%).
Mais pourquoi partent-ils ?
Qu’ils soient ingénieurs, titulaires d’un diplôme de formation professionnelle ou enseignants universitaires, ces catégories professionnelles ont des raisons communes qui les incitent à quitter le pays.
D’après Sahar Mechri, il ne s’agit pas uniquement de raison matérielle. Le contexte politique, social et culturel dégradé y est pour quelque chose. Si ces catégories professionnelles ont choisi de quitter, c’est parce qu’elles n’ont plus la capacité de se projeter dans le futur à cause de l’absence de visibilité. Les entretiens menés par les auteurs de l’étude ont affirmé également que certains jeunes ont un problème de liberté de culture et font face à l’intolérance. De même, ces catégories professionnelles perçoivent de faibles rémunérations face à la détérioration du pouvoir d’achat et voient leur capacité de carrière limitée.
Enfin, quitter vers d’autres cieux se justifie également par la volonté d’avoir une excellente scolarisation pour ses enfants. Surtout que les compétences tunisiennes ont perdu toute confiance dans le système éducatif.