Décidément, plus ça change, plus c’est pareil ! Le plus grand déficit dont souffre nos décideurs, tous domaines confondus, est assurément celui de l’imagination.
Nous en avons déjà la confirmation sur le plan de l’offre économique et sociale actuelle tant les idées, les programmes, les modèles,… Que dis-je, les perspectives proposées par ceux qui prétendent à la conduite des affaires de la cité sont passéistes, éculées, reproductives et ignorantes des enseignements de l’histoire. Passéisme plus ou moins récent est le maître mot. Retour aux sources (lesquelles ? c’est selon !), mimétismes, nostalgie de lignées disparues sans postérité.
Agir en rupture
Or, n’est-ce pas le propre d’une révolution que de rompre avec le passé ? Casser les codes anciens pour en générer d’autres. Bien évidemment, il ne s’agit pas de faire table rase. Nous avons toutes les raisons du monde d’aimer notre histoire surtout dans sa profondeur, sa diversité et sa richesse. Mais n’est-il pas temps d’en construire une autre pour les générations futures, au lieu d’encenser celle de nos aïeux, fut-elle des plus glorieuses?
Bis repetita
Et voilà que sur le plan organisation et conduite du débat et de la compétition politique, l’on semble s’acheminer vers un retour à ce que l’on savait faire le mieux du temps de Ben Ali : excommunier, jeter des anathèmes, ternir les réputations, fracasser des vies, embastiller, condamner sans jugement pour exclure un adversaire réel ou potentiel.
Les « constitutionnalistes en cour » de l’époque s’ingéniaient à trouver des dispositions « légales » pour écarter toute candidature potentielle qui viendrait titiller la quiétude du chef.
Tout a été utilisé : limite d’âge, antécédents judiciaires montés de toutes pièces, situation fiscale, affaires judiciaires pendantes, origine des fonds, obligation d’être préalablement chef de parti, voire depuis une période minimale, bien évidement fixée en fonction du candidat à exclure, … Et j’en passe. Cela constituait un viol des règles démocratiques les plus élémentaires et surtout un mépris total du citoyen-électeur considéré comme mineur et donc incapable de discerner par lui-même de ce qui serait bon pour lui. Dictature oblige.
Cela a-t-il servi à quelque chose ? A rien. Ou si. A crédibiliser les exclus, à légitimer leurs combats, à en faire des résistants dont d’aucuns font encore commerce, à les victimiser aux yeux de l’opinion publique, à les asseoir dans leurs statuts d’opposants crédibles et susceptibles de gagner, … Bref de leur rendre le plus grand des services. Car finalement, le recours à ce genre de méthodes est davantage symptomatique de vulnérabilité que de force. De fragilité que de solidité. De doute que d’assurance. Les citoyens s’y trompent rarement.
L’argument de la manipulation, de l’utilisation de moyens indus, de tromperie sur la marchandise, d’abus de faiblesse, de rapport marchand, etc. n’est pas recevable. D’abord, parce que tous les compétiteurs peu ou prou le font avec plus ou moins de finesse. Auquel cas, la sanction doit être la règle pour tout le monde quelle que soit l’échelle de la faute.
Ensuite, il y a une suspicion légitime sur la neutralité et l’exemplarité de la partie en charge de l’application de la loi ainsi que sur le momentum choisi pour engager les hostilités. Peut-on décemment arguer que le fait générateur de cette indignation sélective n’est pas l’expression de la candidature de Nabil Karoui qui en a déstabilisé plus d’un ? Peut-on soutenir sérieusement que changer les règles du jeu à deux mois de la date butoir du dépôt de candidatures pour les législatives (22 juillet 2019), et nonobstant le cas Karoui, n’est pas suspect et introduit davantage de confusion dans l’esprit des électeurs ?
Le cas Karoui et d’autres
Confirmation du vieil adage. « Quand on ne sait pas où l’on va, on revient d’où on est parti ». La même démarche semble vouloir être appliquée à Nabil Karoui qui s’est déclaré candidat aux prochaines élections présidentielles et législatives à travers un mouvement qu’il créerait. Bien évidemment, le projet de loi d’élargissement de mesures restrictives à d’autres candidat(e)s n’est qu’un leurre. La cible, c’est lui. Les raisons invoquées, incontestables et dont le respect est crucial surtout dans une démocratie en formation, ne concernent malheureusement pas que lui. L’écrasante majorité de la classe politique est largement en situation de conflit d’intérêt, d’incompatibilité et coupable des mêmes délits sans que cela prête à conséquence.
Nabil Karoui n’est surement pas exempt de tout reproche. Il évolue dans ces écuries d’Augias que sont les médias et le divertissement depuis suffisamment longtemps pour en connaitre, se compromettre et compromettre. Reconverti dans l’humanitaire avec succès, il chercherait à le « convertir » en poids politique. Est-ce à dire que cela lui dénie le droit de s’engager politiquement et de se présenter devant les électeurs ? Certes non. A moins d’une décision de justice qui ait épuisé toutes les voies de recours, nul n’a le droit de le priver de ce droit que lui garantit la Constitution.
L’opposition à Nabil Karoui ne peut être que politique à force d’arguments et de démonstration de l’inanité de son action. Dans une démocratie, la seule légitimité qui vaille est celle des urnes. Le pari doit être fait sur l’intelligence des électeurs et sur la capacité de ses détracteurs à convaincre et à proposer d’autres alternatives plutôt que sur un illusoire bâillonnement contre-productif qui ne fera que faire croître sa notoriété et l’installera définitivement dans la position de victime expiatoire sur l’autel de la démocratie voire du « système ».
Interdire Nabil Karoui serait le plus mauvais service rendu à la démocratie. Ne grandira pas ses auteurs et constituera un précédent fâcheux qui justifiera les abus à venir. Le diaboliser ne fera que le renforcer (i.e. Berlusconi, Trump, …).
On ne peut que déplorer cette hystérisation du débat politique qui se réduit le plus souvent à de l’invective, aux accusations, aux rumeurs nauséabondes et à un déferlement de haine et d’appel à la violence. N’a t-on pas entendu un député appeler au meurtre du Chef de gouvernement sans que cela scandalise outre mesure ou que le bureau de la chambre des députés ou le parquet s’auto-saisisse de l’affaire! Il ne faut pas s’étonner dès lors de la défiance générale vis à vis des politiques tous bords confondus, du non respect généralisé des règles et de ce désamour de la chose publique.
Nul n’est à l’abri. Prenez-y garde et méditez la portée du poème « Je n’ai rien dit » de Martin Niemoller écrit à Dachau en 1942 : « (…) Et puis ils sont venus me chercher/Et il ne restait plus personne pour protester ».