Les acteurs politiques ont-ils le droit de réviser la loi électorale à quelques mois des élections législatives et présidentielle ? Qu’en est-il sur le plan juridique, serait-il légitime? Jinan Limam, enseignante universitaire à la Faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis dresse un état des lieux du processus électoral.
Selon Jinan Limam, le projet de loi amendant la loi organique n° 16 du 26 mai 2014, relative aux élections et au référendum soulève de sérieux problèmes sur les plans juridique et éthique. « Ce projet de loi nous interpelle aussi sur l’ampleur de la panne de l’imaginaire politique qui ronge le pouvoir », dit-elle.
« Une loi électorale taillée sur mesure ! »
Elle précise qu’elle a l’impression que l’exécutif et sa majorité parlementaire ne cessent de ressusciter les démons du passé en cherchant à mettre en place une loi électorale taillée sur mesure. « Nous avons dans le passé de fâcheux précédents d’instrumentalisation de la loi électorale pour asseoir l’hégémonie du parti au pouvoir, verrouiller la vie politique et barrer la route aux candidatures non désirées. »
Et de poursuivre: “A la veille de chaque élection législative ou présidentielle, le code électoral, parfois même la Constitution, subissaient des amendements à la carte, à l’instar de la disposition dérogatoire insérée par la loi constitutionnelle n° 2008-53 du 28 juillet 2008 (article 40) et qui était applicable aux élections présidentielles de 2009, et dont la finalité était d’empêcher Ahmed Néjib Chebbi de présenter sa candidature aux présidentielles de 2009. Cette disposition autorisait en effet seulement la candidature du premier responsable de chaque parti politique, à condition qu’il soit élu à cette responsabilité et qu’il soit le jour du dépôt de la demande de sa candidature, en exercice de cette responsabilité, et ce, depuis une période qui ne soit pas inférieure à deux années consécutives depuis son élection à cette responsabilité.”
Bâtir une véritable démocratie loin des imposteurs
Elle ajoute: « A première vue, ces projets visent à restructurer la vie politique en renforçant sa rationalisation, sa stabilité et sa moralisation. Ce qui est en soit positif pour l’honnêteté et la crédibilité du scrutin et essentiel de bâtir une véritable démocratie loin des imposteurs et des corrompus. Toutefois, présentés à quelques mois des élections législatives et présidentielles, cette révision est critiquable en raison de son timing ».
Peut-on changer les règles du jeu dans un processus électoral ? A cette interrogation, Jinan Limam a également rappelé que la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) dans son Code de bonne conduite en matière électorale (2002) prône la stabilité du droit électoral.
Ainsi, le système électoral proprement dit et le découpage des circonscriptions ne devraient pas pouvoir être modifiés moins d’un an avant une élection. « On ne change pas les règles du jeu à la veille des élections », dixit Jinan Limam.
En effet, dans un Etat de droit, les règles juridiques doivent être stables, claires, accessibles et prévisibles. « Les révisions envisagées même si elles sont adoptées doivent absolument s’appliquer pour les prochaines élections et non pas pour celles de 2019 », explique Jinan Limam.
S’agissant de l’application de l’arsenal juridique existant portant sur le contrôle des différents acteurs politiques et associatifs, Jinan Limam conclut que : « les acteurs politiques clés ont provoqué et ont profité de ces défaillances pour renforcer leur domination, créant un climat malsain d’impunité et de clientélisme ».