Le président turc Erdogan et son parti islamiste AKP ont tout fait, surtout depuis le coup d’Etat manqué du 15 juillet 2016, pour étouffer la démocratie en Turquie en vue de s’éterniser au pouvoir : arrestations massives, licenciement de dizaines de milliers d’adversaires réduits au chômage, chute vertigineuse des indices de la liberté de la presse, de l’indépendance de la justice et du respect des droits de l’Homme. La seule chose que le dictateur turc n’a pas pu apprivoiser, c’est le processus électoral.
Pourtant, il a essayé de l’inclure dans son tableau de chasse. C’était à l’occasion de la première élection municipale d’Istanbul il y a quelques mois. Le parti islamiste l’a perdue de justesse, le candidat de l’opposition Ekrem Imamoglu l’a emporté avec une avance de 13000 voix contre le candidat du pouvoir Benali Yeldrim.
En islamiste pur et dur, Erdogan n’a pas accepté le résultat, accusant l’opposition d’irrégularités. D’habitude et en toute logique, l’accusation d’irrégularités dans les élections est formulée par l’opposition à l’adresse du pouvoir. Mais, quand les « Frères musulmans » sont au pouvoir et perdent les élections, ils les rejettent. L’AKP l’a démontré à Istanbul, comme l’a démontré avant lui « Fajr Libya », à Tripoli.
Erdogan et son parti ont donc imposé de nouvelles élections municipales à Istanbul et doivent s’en mordre les doigts d’avoir pris cette décision qui a eu pour eux l’effet d’un boomerang et dont l’issue les a couverts de ridicule. Dans « le premier round », refusé par les islamistes, le candidat de l’opposition ne devançait son rival du pouvoir que de 13000 voix. Dans le « deuxième round » imposé par les islamiste, Ekrem Imamoglu a battu à plate couture l’homme d’Erdogan, Benali Yeldrim, par un score de 55% contre 45%, soit une avance de 800.000 voix…
La principale conclusion à tirer est que des centaines de milliers de personnes qui ont voté la première fois pour l’AKP ou qui se sont abstenues, se sont massivement mobilisées pour voter, la deuxième fois, contre Erdogan et son parti. Les choses sont claires : la manœuvre d’Erdogan de vider de son sens le processus électoral, le dernier signe rescapé de la démocratie turque, a été massivement rejeté par les électeurs qui ont sauvé l’ultime donnée concrète de la démocratie en Turquie : l’élection.
En se mobilisant massivement, les électeurs turcs ont cloué Erdogan et son parti au pilori, barrant ainsi la route à toute autre manœuvre tendant à confisquer les voix des électeurs et à vider de son sens la notion même d’élection. Tétanisés par l’immense avance de voix du candidat de l’opposition, les islamistes de l’AKP n’ont rien pu faire et Erdogan, la mort dans l’âme, n’a eu d’autre choix que de « féliciter » Ekrem Imamoglu, gentiment qualifié pendant la campagne électorale de « terroriste, instigateur de coup d’Etat, fraudeur, Grec, homme de Sissi… »
Pendant cette campagne où M. Imamoglu a été traité de tous les noms, Erdogan est intervenu pour mettre en garde les électeurs en les prévenant que « celui qui gouverne Istanbul gouverne la Turquie ». Entendez par là si le candidat de l’opposition est élu, la Turquie sera gouvernée par un terroriste, un Grec et un homme à la solde de l’ennemi numéro un d’Erdogan, le président égyptien Abdelfattah Sissi.
Ces futilités qui composaient l’essentiel du discours électoral du président turc n’ont pas eu l’effet recherché, loin de là. Les Turcs ayant été sans doute outrés d’être pris pour des imbéciles par un président qui les sollicitait de croire à des sornettes, ont élu massivement le candidat de l’opposition et célébré tout aussi massivement dans des rassemblements nocturnes à Istanbul l’élection de M. Ekrem Imamoglu.
Beaucoup d’observateurs et de commentateurs sont convaincus que l’élection municipale d’Istanbul du 23 juin annonce le début de la fin du régime d’Erdogan et, en général, de l’islam politique en Turquie et dans le monde. En près de vingt ans de règne, le parti islamiste turc a tellement défiguré la république d’Atatürk, qu’il l’a transformée en machine infernale de soutien au terrorisme et de déstabilisation des pays voisins. En près de vingt ans de règne, Erdogan a réussi l’incroyable performance de transformer la Turquie de pays avec zéro ennemi avant 2002, en pays avec zéro ami ou presque, car à part le Qatar, qui a de nos jours de la sympathie pour l’AKP et son président ?
Honni à l’étranger, de plus en plus impopulaire chez lui, Erdogan n’a plus que le soutien du Qatar, d’Ennadha en Tunisie et de Fajr Libya en Libye. A part ceux-ci et les cadres dirigeants des branches syrienne et égyptienne des ‘’Frères musulmans’’ réfugiés en Turquie, qui souhaiterait voir se prolonger la désastreuse expérience de l’islam politique turc ?
En dehors de la Turquie, l’islam politique voit son influence et son attrait se réduire comme une peau de chagrin. Les millions qui ont vu en lui le sauveur et la solution à tous leurs problèmes sont amèrement déçus et ne veulent plus en entendre parler. Les citadelles des ‘Frères musulmans’ tombent comme des châteaux de cartes les unes après les autres. Humiliés en Turquie, expulsés du pouvoir au Soudan, encerclés en Libye, rejetés par l’électorat en Mauritanie à travers la défaite cinglante de leur candidat Mohammed Ould Boubaker, battu par le candidat anti-islamiste Oud El Ghazouani, les ‘Frères’ sont désemparés, ne sachant plus …à quel saint se vouer.