Il est mort comme il a toujours vécu dans la discrétion la plus totale, loin du chahut de la ville. Noureddine Gueddiche est mort à 74 ans emporté par une foudroyante maladie contre laquelle il ne pouvait lutter. C’est le lot de tous les grands de ce monde qui auront marqué de leur empreinte le cours des choses sans jamais se mettre en scène.
Noureddine Gueddiche avait, toute sa vie professionnelle, fui les honneurs et les ors de la République pour lesquels il n’avait aucun dédain, mais plutôt respect et considération. Il n’avait pas besoin de cela pour monter dans l’estime des gens et plus important pour lui dans l’estime de lui-même.
Très tôt, alors même que ses camarades de promotion s’étaient réfugiés dans les cursus et filières post-licence, doctorants, Noureddine Gueddiche avait pour sa part choisi d’aller au charbon, d’affronter la réalité, de partir en croisade contre les reliques du passé, les archaïsmes sociaux, les tabous de toutes sortes, bref d’apporter sa pierre pour bâtir un nouveau monde que ne voyaient pas venir même dans leurs plus folles projections nos économistes. Les historiens jugeront .Il avançait, il lui arrivait même d’aviser, laissant aux économistes et aux gestionnaires de quoi confectionner et produire théorie et doctrine. Pour son premier job, il n’avait que l’embarras du choix sauf qu’il voulait faire valoir ses qualités humaines et professionnelles ailleurs que dans les zones de confort, des banques et assurances qui recrutaient à l’époque à tour de bras. Il avait le pied marin, et il lui fallait affronter vents et bourrasques, naviguer à vue et se fixer son propre cap. Sans vrais challenges et sans réels défis, il ne pouvait éprouver la moindre motivation au travail.
Il avait choisi de mettre son intelligence des faits et des hommes – déjà, son impatience, sa passion pour le travail, sa curiosité, son goût pour la créativité et pour l’art qu’il sublimait au service de l’Office National de l’Artisanat. Il en avait gravi tous les échelons de la direction jusqu’à ce qu’il s’en soit vu confier la destinée.
De cette période, ses proches et lointains collaborateurs, les artisanes et artisans pour lesquels il a mis toute son énergie pour les former, les professionnels du secteur à qui il prodiguait conseil, aide et appui financier, tous disaient que c’était l’âge d’or et de l’Office et de l’artisanat national. Il a fait de cette activité ancestrale, figée, fermée à toute forme d’innovation, qui n’a pas évolué dans sa conception, sa façon de faire et d’exister une vraie profession. Ouverte sur la culture et les arts dans le monde. Il scellait le mariage des artistes et des artisans, de l’art et de l’artisanat tunisien. Qu’il fit grimper de plusieurs crans dans la bourse des valeurs nationales et mondiales. L’étoile de l’artisanat brillait, par ses soins, dans la galaxie du tourisme mondial. Il sut donner sens et chair au tourisme national jadis conquérant.
Discret, efficace, déterminé, calme même dans la colère, Noureddine était terriblement exigeant autant que profondément humain. Il était juste, grave mais reconnaissant. Et plus fort que tout, il était libre et indépendant. Il avait été, en son temps, pressenti plus d’une fois pour des fonctions gouvernementales qu’il déclina en silence, sans bruit ni fracas. Il était courtisé à l’envi pour rejoindre les rangs du parti du gouvernement. Sans succès. Il ne voulait rien d’autre que ce qu’il s’était choisi pour lui-même : s’accomplir en permanence dans le mouvement, dans l’action, la créativité, la création de valeurs, de richesses et de talents. Ce qu’il fit, car c’était ce qu’il voulait faire. Son projet, le but de sa vie : faire de l’Office National de l’Artisanat le creuset de la créativité, de l’inventivité, du beau et du sublime. En faire le porte-avion, le navire amiral de l’artisanat national tout en l’entourant de vedettes et de frégates pour mieux le protéger, le sécuriser et améliorer son rayon d’action.
Il avait fait école et formé toute une génération de cadres et de dirigeants avec pour seul credo : le dévouement au service public, le devoir d’exemplarité, l’exigence professionnelle, la rectitude morale et le goût de l’innovation pour faire bouger les lignes et changer les choses. De l’artisanat s’entend.
Rattrapé par la retraite, Noureddine Gueddiche n’était pas à la manœuvre à l’heure du tsunami post-révolution. Ce démocrate convaincu avait beaucoup souffert des pertes de la valeur travail, du chaos social et de la régression de l’économie. Il en éprouvait un fort sentiment de malaise ; même très atteint physiquement. Dire qu’il était pourtant de ceux qui pouvaient gérer et conduire le changement. Il en avait tous les attributs. Il s’est muré dans le silence et il n’en dira mot. Il était à ce point marqué par la dégradation de l’économie, le relâchement de la discipline, la décrépitude des entreprises publiques, des bruits et des fureurs de la ville qu’il a choisi de fuir. Se sachant mourant, il voulait rendre son dernier soupir loin du tumulte, là où il se plaisait le plus, chez lui à Kerkennah. Il tire sa révérence en silence. L’histoire se referme. Non sans panache.
Difficile de nous consoler de son départ et du vide qu’il laisse autour de lui. Comment consoler son épouse, ses enfants, ses proches et amis de leur immense douleur ?
Merci tonton pour l’article. Ça me fait chaud au cœur.
Mourad Gueddich (fils de Noureddine Gueddiche) Life will never be the same without you.
Repose en paix, un hommage qui honore l’homme le père et le mari que tu étais, repose en paix puisse dieu nous donner la force de surmonter cette douloureuse épreuve