Dans une mise à jour annuelle, l’agence de notation américaine Moody’s a donné un avis mitigé sur la situation en Tunisie.
En dépit d’une progression notable sur un bon nombre de dossiers, les faiblesses budgétaires et l’aggravation de l’endettement persistent. En termes de force institutionnelle, nous sommes classés par Moody’s avec le Bahreïn, l’Albanie et le Costa Rica. S’agissant de la force budgétaire, l’économie tunisienne est à un niveau « très faible », ayant le même profil que l’Argentine et la République Dominicaine. Quant à la susceptibilité aux événements, le risque est « élevé », comme celui du Liban et de la Turquie. Des classements loin d’être flatteurs.
Moody’s a confirmé la reprise économique pour 2019
L’agence de notation américaine a confirmé la reprise économique pour 2019, mais elle table désormais sur un taux de croissance de 2,3% pour 2019 et 2,6% en 2020. Une vraie révision à la baisse qui complique la tâche d’absorption des nouveaux venus sur le marché de travail.
Mais certains points positifs méritent d’être signalés. Cette croissance provient de la dynamique du marché et pas de la seule demande de l’Etat comme c’était le cas lors des dernières années. Il y a un regain relatif de la compétitivité industrielle grâce à la dépréciation du dinar, mais la faiblesse de la demande italienne et française pèse. Il y a aussi une reprise au niveau du tourisme qui pourrait donner de l’espoir pour le stock des créances classées dans les bilans des banques.
L’agence de notation s’est montrée optimiste quant à l’investissement local et étranger après l’adoption d’un cadre réglementaire plus flexible. Les flux nets d’IDE ont repris, tout en restant loin de leur pic de 2012. Moody’s a pointé du doigt la bureaucratie, l’instabilité politique et la corruption comme principaux facteurs affectant le classement de référence dans Doing Business.
Le faible rythme des réformes
Les réformes en question sont celles proposées par le FMI. Moody’s fait référence à la dernière revue du Fonds et insiste sur la lenteur de l’exécutif dans quelques dossiers.
Le tir a été relativement rectifié dans le système de retraite. L’augmentation de l’âge de départ à 62 ans n’est autre qu’une première étape pour préserver ce système en difficulté. La future réforme devrait concerner la pension touchée après la retraite qui peut atteindre aujourd’hui 80%. Il y a également des avancés au niveau de la réduction des subventions énergétiques, avec une libéralisation totale des prix après 2021. L’instauration de l’Instance Nationale de Lutte Contre la Corruption, le renforcement des dispositifs anti-blanchiment d’argent et la sortie de la Tunisie de la liste noire du GAFI sont également des points à mettre à l’actif du gouvernement.
Bien évidemment, la récente augmentation salariale dans le secteur publique a été évoquée. Elle a rendu les efforts d’amélioration des recettes fiscales et le contrôle des dépenses un jeu à somme nulle. Cette revalorisation va coûter 1% du PIB sur deux ans, mettant en péril l’objectif d’une masse salariale de 12,5% du PIB en 2021.
L’efficacité de l’action gouvernementale est également évaluée par la stabilité des prix. Là, ce n’est pas un point en faveur de la Tunisie vu que l’inflation reste élevée. Les prix des produits alimentaires ont souffert de la dépréciation du dinar et de la hausse des prix des carburants. Cela justifie la politique monétaire de la BCT qui a augmenté son taux directeur de sorte que le taux d’intérêt réel a retrouvé le territoire positif. Moody’s table sur une inflation de 6,2% fin 2019 et 5,7% fin décembre 2020.
Un déficit budgétaire de 3,9% est jouable
Avec un déficit budgétaire de 4,8% en 2018, la Tunisie a atteint son objectif. L’agence de notation reste confiante en la capacité du gouvernement à réduire ce taux à 3,9% en 2019. Néanmoins, elle reste sceptique sur la marge de manœuvre actuelle. L’exécutif ne pourra pas échapper à la diminution de ses dépenses d’investissement pour garder ses équilibres macroéconomiques.
Ces derniers sont largement affectés par la dette publique qui représente 77% du PIB. La dévalorisation du dinar est ressentie puisque 72% de cet encours est libellé en devises. Pour Moody’s, la dette représenterait 76,8% du PIB fin 2019 et 76,4% fin 2020. La Tunisie ne risque pas de problème d’accès au financement extérieur car les deux tiers de ses engagements extérieurs proviennent d’accords bi et multilatéraux. La maturité moyenne de la dette extérieure est de 7,1 ans avec un coût effectif de 2,4%. Pour la dette interne, sa maturité est de 5,9 années avec un taux de 7,3%.
Il ne faut pas oublier les garanties accordées par l’Etat au profit des entreprises publiques, et qui ont atteint 15,6% du PIB fin 2018 (16% en 2019). Elles ne sont pas intégrées dans le calcul du ratio d’endettement. La moitié de ces garanties profitent aux entreprises opérant dans l’énergie.
Forte fragilité
La vulnérabilité de la Tunisie aux événements reste toutefois élevée. L’année 2019 est une année élective et Moody’s table sur un nouveau gouvernement de coalition nationale. Cela reste une opportunité pour consolider la démocratie tout en posant des problèmes d’efficacité d’action.
Les risques géopolitiques avec le conflit en Libye et les récents événements en Algérie sont une source de pression, mais les forces sécuritaires sont aujourd’hui mieux armées pour faire face à ces risques.
Moody’s table sur l’amélioration du déficit courant à moins de 10% en 2019 et 8,6% en 2020. L’entrée en exploitation du champ gazier Nawara, qui va couvrir 10% des besoins locaux et réduire les importations de l’Algérie, va positivement impacter les équilibres de l’Etat. Les réserves en devises devraient se stabiliser autour de 5 milliards de dollars dans les prochaines années.
Globalement, le tableau dressé traduit une lecture fidèle à la réalité de la Tunisie. Il confirme que la reprise dépend, seulement et uniquement, de la capacité du pays à reprendre le travail.