Le directeur du Centre arabe de recherches et d’analyses politiques et sociales (Caraps) de Genève, Riadh Sidaoui affirme dans cette interview que la saison touristique ne subira pas les répercussions des récents attentats. Il affirme également qu’il n’y pas de raison de reporter les élections.
Deux attentats-suicide ont ciblé la Tunisie. Quelles sont les répercussions politiques et économiques de ces deux attentats-suicide ?
Riadh Sidaoui : En effet, la première cible des attentats n’est autre que l’économie tunisienne. Faut-il encore rappeler que le tourisme tunisien a renoué avec ses performances d’antan. D’ailleurs, la saison touristique 2019 s’annonce bel et bien prometteuse. Les hôtels sont bien sécurisés depuis l’attaque de Sousse. Par ailleurs, ce qui s’est passé ne doit pas faire oublier aux Tunisiens les réalisations des forces de l’ordre tunisiennes. En 2016, le terrorisme en Tunisie a subi un coup dur suite à la défaite des terroristes dans l’épopée de Ben Guerdane. Lors de cette épopée plusieurs terroristes ont été tués. Les forces de l’ordre ont même pu mettre la main sur plusieurs caches d’armes. Je suis sûr et certain que la saison touristique se passera sans problème. C’est une occasion pour tous les Tunisiens de s’unir et rejeter leurs différences idéologiques et politiques.
Si je dis cela c’est pour rappeler les prouesses de nos forces nationales qui méritent d’être citées et rappelées. Mais que peuvent faire les forces de l’ordre face aux loups solitaires ? Comment agir face à un kamikaze qui n’hésite pas une seconde à se faire exploser dans n’importe quelle capitale du monde ? Les meilleurs services de renseignement au monde auraient beaucoup de mal à prévenir ce genre d’acte. Au niveau politique, heureusement pour la Tunisie, les Tunisiens sont solidaires avec les forces de l’ordre. Tout le monde condamne fermement le terrorisme malgré les divergences politiques. Il est injuste de dire que les forces de l’ordre tunisiennes ont échoué dans la lutte contre le terrorisme. Il suffit uniquement de comparer le nombre de victimes du terrorisme en Tunisie avec celui dans d’autres capitales qui ont subi des attaques similaires.
Mais comment le terroriste a-t-il pu échapper à la vigilance des dispositifs de sécurité mis en place et circuler librement au centre-ville ? Ou encore comment lors du deuxième attentat à El Gorjani, le terroriste a-t-il pu pénétrer librement dans l’enceinte du complexe de la Brigade antiterroriste ?
Une chose est sûre : il s’agit d’attaques terroristes réalisées par des moyens primitifs, ce qui explique le nombre limité de victimes et ce malgré une scène de crime très encombrée par les passants. Ces loups solitaires ne disposent pas d’armes lourdes et sophistiquées. Ces indices confirment que le terrorisme en Tunisie n’a pas d’assises populaires.
Cependant, pour nous, comme pour tous les pays, nous ne sommes pas près d’en finir avec ce fléau. La lutte contre le terrorisme doit se poursuivre à travers les services de renseignement, l’éducation, la culture et la coopération internationale. Autre casse-tête et non des moindres, la contrebande des armes provenant de Libye. En dépit du professionnalisme des forces de l’ordre, il n’est pas possible d’intercepter toutes les armes provenant de Libye.
Il y a comme une simultanéité dans les deux attentats. Comment peut-on l’expliquer ?
Cela pourrait être l’œuvre d’une cellule terroriste dont les membres se sont mis d’accord pour agir simultanément. En dépit du nombre limité, les loups solitaires veulent faire croire aux Tunisiens qu’ils sont nombreux. D’ailleurs, le choix de l’avenue Habib Bourguiba est un choix qui ne doit rien au hasard. C’est une avenue qui abrite le ministère de l’Intérieur et l’ambassade de France et des hôtels.
La deuxième cible, à savoir le siège de la brigade chargée de la lutte antiterroriste. A noter que le terroriste n’a pas pu entrer dans le complexe qui abrite les services de la BAT et s’est fait exploser devant le parking.
Comment peut-on éradiquer l’idéologie qui est à la base du terrorisme ?
L’origine du terrorisme n’est que le wahhabisme. Ce mouvement fanatique prêche la violence, la haine et le rejet de l’Autre. D’où l’urgence de lutter contre.
Au niveau politique, certains pourraient revendiquer le report des élections prenant pour prétexte les attentats-suicide ?
Il n’en est pas question. La date des élections est une question sacrée. Le seul acquis dont la Tunisie bénéficie est la démocratie. Donc le report de la date des élections signifierait une remise en question de la démocratie avec le risque de semer la confusion dans les esprits.
Sans compter que cela provoquerait un vide constitutionnel aux conséquences imprévisibles. Ces attentats-suicide sont catastrophiques pour l’image du pays mais ce n’est pas une raison valable pour reporter les élections. Pour ne citer qu’un seul exemple, les attentats du 11 septembre à New York n’ont pas entraîné un report des élections américaines. La situation n’est pas dangereuse en Tunisie. La preuve en est que je serai à Tunis la semaine prochaine pour passer mes vacances.