Tel-Aviv était à feu et à sang dans la nuit du 2 au 3 juillet. Voitures incendiées, routes coupées par des barricades, des pneus qui brûlent dégageant des nuages de fumée noire et suffocante. Les Israéliens, habitués à voir de telles scènes à la télévision sont atterrés de les voir maintenant chez eux, dans leur ville considérée comme un « havre de paix » dans une région tourmentée par la violence et la guerre.
Pourquoi Tel-Aviv est à feu et à sang ? Parce qu’un policier, qui a probablement fait son stage aux Etats-Unis, a eu une altercation avec un jeune juif de 19 ans, d’origine éthiopienne, et l’a descendu en lui logeant une balle dans la tête alors qu’il n’était même pas en service.
La mort du jeune homme a provoqué une vive colère et une véritable révolte des ‘Falachas’ qui, depuis leur arrivée en Israël, n’ont cessé d’être confrontés à un racisme multiforme à cause de la couleur de leur peau. « Depuis 30 ans, nous souffrons du racisme… Dans l’éducation, dans le logement. Si on veut par exemple louer un appartement, nous trouvons de grandes difficultés parce qu’on est Ethiopiens, on est Noirs », explique un manifestant au micro de Radio France Internationale.
La colère de la communauté éthiopienne
La violence de la nuit du 2 au 3 juillet 2019 n’est pas la première du genre, loin s’en faut. En 2015, une vidéo montrant deux policiers en train de molester un soldat d’origine éthiopienne avait provoqué une flambée de violence à Tel-Aviv et dans d’autres villes israéliennes. La communauté éthiopienne avait violemment exprimé sa colère contre le racisme de la police israélienne.
Selon le réseau régional d’information intégrée (IRIN), un réseau d’analyse et d’information humanitaire rattaché aux Nations unies, « certains enfants de la communauté de juifs éthiopiens ne sont pas acceptés dans certaines écoles en raison de la couleur de leur peau » Toujours selon IRIN, « Près de 20% des enfants israéliens d’origine éthiopienne ne seraient pas scolarisés. »
Selon un rapport de l’Institut israélien Meyers-JDC-Brookdale, 45% des émigrés éthiopiens étaient en 2011 au chômage, alors que le taux pour les Israéliens en général s’établissait autour de 5,6%.
Comment ces Falachas sont-ils arrivés en Israël ? Pendant des siècles, ces juifs éthiopiens ont vécu coupés des autres juifs. Ce n’est qu’en 1975 que leur « judaïté » a été reconnue par les autorités religieuses israéliennes. Cette reconnaissance a été très vite exploitée par les autorités politiques israéliennes qui ont organisé deux ponts aériens en 1984 et en 1991 via lesquels 85000 Falachas sont arrivés en Israël.
Les gouvernants d’Israël, de David Ben Gourion à Benyamin Netanyahu en passant par tous les autres, ont toujours été obsédés par « la menace démographique » que constitue pour eux « le taux de fécondité élevé des Palestiniens ». Pour contrer cette « menace », ils ont organisé l’émigration massive des juifs russes en Israël en usant de toutes sortes de pressions sur la défunte Union soviétique. Mais le gros du travail si l’on peut dire a été fait après l’effondrement de l’Union soviétique. C’est ainsi qu’entre 1989 et 2002, plus de 900.000 juifs ont quitté les anciennes républiques socialistes soviétiques en direction d’Israël. Ils sont aujourd’hui plus d’un million cent mille personnes et constituent la plus grande communauté du pays.
Sourds et aveugles
En parallèle, les gouvernants d’Israël ont exploité la guerre civile en Ethiopie et la chute de la dictature de Menguistu Hailé Mariam pour organiser une autre vague d’émigration avec toujours en filigrane le projet du « Grand Israël » et d’annexion des territoires occupés qui, dans l’esprit de Beghin, Shamir, Sharon et autre Netanyahu, nécessite une majorité de Juifs.
Mais si la communauté russe s’est bien intégrée en apportant son savoir-faire économique, technique et scientifique, la communauté éthiopienne, compte tenu de sa pauvreté et de son ignorance, mais aussi du racisme israélien, est restée marginalisée. Il est tout de même sidérant qu’un peuple qui a souffert pendant des millénaires de racisme et de persécution fasse preuve de mépris et de discrimination vis-vis de concitoyens à la peau foncée. Pourtant les Israéliens à la peau claire ont remué ciel et terre pour amener en Israël ces Falachas d’une autre culture et d’une autre civilisation, provoquant leur déracinement et leur déchirement.
Pendant les émeutes anti-raciales de 2015, l’ancien président israélien, Reuven Rivlin, a affirmé: « Les manifestants de Jérusalem et de Tel-Aviv ont révélé une plaie ouverte et vive au cœur de la société israélienne. Nous n’avons pas assez ouvert les yeux et nous n’avons pas assez tendu l’oreille. » Quatre ans plus tard, les gouvernants israéliens sont toujours sourds et aveugles vis-à-vis des revendications des 135 000 « Falachas ».