Le malaise des enseignants universitaires, matérialisé par une année très difficile pour nos étudiants, ne doit pas passer inaperçu. Il traduit, en réalité, la forte dévalorisation des titulaires de doctorats dans plusieurs filières par un marché d’emploi qui a d’autres priorités.
Avoir un nombre élevé de docteurs est censé être un facteur de croissance dans un pays. Le nombre de « chercheurs » a explosé ces dernières années, pas en raison des perspectives fleurissantes de cette activité, mais pour échapper au chômage qui frappe les diplômés de plusieurs spécialités. Il suffit de jeter un coup d’œil sur le guide d’orientation universitaire préparé par l’IACE pour s’en apercevoir. Ainsi, pour un bon nombre de détenteurs d’un master, décrocher quelques heures d’enseignement dans une université et une bourse tout en échappant aux obligations du service militaire s’avère un bon choix. En parallèle, la multiplication des masters et l’abondance des places proposées ont fait que nous nous sommes retrouvés aujourd’hui avec une offre de docteurs qui dépasse largement la demande cumulée des universités publiques et privées.
Nous pensons qu’il est anormal que le nombre d’inscrits en thèse passe de 9778 en 2012-13 à 12798 en 2017-18(hors doctorat en médecine, médecine dentaire et pharmacie), soit un taux de croissance annuel moyen de 5,5% alors que le rythme de recrutement n’a pas suivi. Selon les statistiques officielles, le nombre d’enseignants permanents est passé de 22 878 en 2012-13 à 22 846 en 2016-17. En même temps, le nombre d’assistants contractuels a reculé de 2858 en 2012-13 à 1 099 en 2016-17. La crise est donc profonde au moment où cette population de docteurs et/ou doctorants exige une solution de l’Etat, alors qu’en réalité, le dénouement ne viendra jamais des autorités.
Le secteur privé a un rôle à jouer
La solution ne peut venir que du secteur privé qui devrait embaucher des docteurs pour apporter une vraie valeur ajoutée à leurs produits et services. Notre tissu industriel est aujourd’hui à la croisée des chemins. Il fait face à une demande fébrile, à des difficultés de financement et à l’obligation d’évoluer vers un modèle 4.0 alors qu’il est très loin de cette réalité. Se doter de ressources humaines hautement qualifiées est l’une des conditions pour réussir ce passage. Un docteur est censé être habitué à évoluer dans un environnement incertain et trouver les bonnes solutions. Il est formé pour affronter la complexité. Recruter des docteurs par une entreprise c’est donc améliorer significativement sa compétitivité et sa capacité d’innovation.
Ici, le rôle de l’Etat serait important car il doit donner plus de visibilité au diplôme de doctorat. Cela passe par l’instauration d’un système de financement des thèses au sein des entreprises, surtout les PME. Ces dernières ne peuvent pas supporter le coût d’emploi d’un tel cadre. L’Etat pourrait donc trouver la bonne formule pour prendre en charge une partie de la rémunération du chercheur. Les conditions pour bénéficier de cela doivent être claires. Doivent suivre une obligation de résultats pour le bénéficiaire et embauche future pour la PME. Les autorités seront gagnantes car ce n’est autre que de l’externalisation de la recherche, donc un moindre coût pour le fonctionnement de l’université.
L’Etat pourrait aussi intégrer la condition de recrutement de docteurs pour bénéficier de certaines lignes de financement. Gagner cette bataille d’employabilité des docteurs ne sera jamais facile. Dans un premier temps, il faut inciter le monde de l’entrepreneuriat à engager ces compétences. Ultérieurement, lorsqu’une différence est ressentie par la concurrence, ce recrutement se transformerait en une habitude.