Les politiques monétaires non conventionnelles entreprises par les banques centrales des pays développés suite à la crise financière internationale ont, en partie, créé un monde de faible inflation et surtout de taux d’intérêt structurellement bas.
La Banque centrale européenne, toujours embourbée dans cette lutte acharnée contre la déflation et la croissance économique molle, reste toujours engagée dans la voie des taux de refinancement négatifs (pénalisant les banques qui déposent de l’argent auprès de l’institut d’émission) et surtout d’assouplissement quantitatif qui permet aux Etats membres de se financer à long terme à des taux très bas, voire négatifs pour certains.
En termes plus simples, il y a aujourd’hui 10,000 milliards d’euros de papier qui rembourseront un nominal inférieur à leur valeur actuelle. L’exemple de l’Allemagne et le plus édifiant: la semaine passée, l’obligation allemande à 10 ans, le Bund a atteint un rendement record bas de moins que -0.4%. La France, en dépit de son taux d’endettement grimpant et son déficit courant, a rejoint ce club privilégié la même semaine en émettant une obligation assimilée du Trésor de maturité dix ans à un taux de rendement de -0.13%. Plus on se dirige vers la périphérie de la zone Euro, et surtout vers le sud, plus ce privilège s’amoindrit : l’Italie doit toujours payer un taux d’intérêt autour de 1.7% pour émettre à 10 ans.
Cette politique non conventionnelle tarde à porter ses fruits et à traduire ces conditions de financement exceptionnelles en croissance économique vigoureuse et surtout porter l’inflation à un niveau proche des 2%, qui est l’objectif auquel tient la Banque centrale européenne. Il n’empêche que cette situation continue à profiter aux émetteurs, pour vu qu’ils présentent un risque de crédit acceptable.
La politique monétaire non conventionnelle de la Banque centrale européenne s’articule autour de quatre pivots essentiels
- D’abord au niveau du taux d’intérêt nominal en imposant un taux d’intérêt court nul et un taux de dépôt des banques négatif à -0.4%;
- Ensuite en agissant sur les taux à long terme et ceci en permettant aux banques centrales des Etats membres d’acheter leurs papiers longs respectifs. Plus la Banque centrale est crédible plus le taux à long terme s’approche du taux de dépôt négatif;
- Troisièmement en offrant une facilité de refinancement à long terme mais au taux négatif de refinancement à court terme pour les banques (TLTRO), afin de booster la création et distribution de crédit hors secteurs immobiliers et financiers;
- Enfin, le plus non conventionnel des outils est le CSPP, qui est le programme qui permet aux Banques centrales d’acheter des obligations d’entreprises du secteur privé apportant au marché obligataire d’entreprise un soutien considérable à la demande.
La dernière vague de mesures en date devait s’arrêter en décembre 2018, ce qui avait poussé les agents économiques et autres opérateurs à anticiper une détérioration des conditions de marché. Car une fois ses outils retirés, le marché obligataire allait perdre un grand soutien.
Eurobond: pour la Tunisie, sortir en ce moment est opportun
La dernière obligation tunisienne était émise en octobre 2018, à un moment où les marchés étaient tendus et on prévoyait un retournement de la période d’assouplissement quantitatif et des taux bas. La Tunisie avait payé le prix à l’époque en passant à un coupon de 6.75 % en euro contre 5.625 en 2017.
Cette détérioration générale, pour les pays émergents en particulier, qu’on observait sur les marchés obligataires fin 2018, s’est heureusement dissipée et malgré la fin de certains des programmes non conventionnels précédents, Mario Draghi, le gouverneur de la Banque centrale européenne, n’a cessé récemment de signaler qu’il était prêt à aller plus loin et plus grand pour de nouveaux programmes.
De plus, aux Etats-Unis, même si la Fed était repartie dans une politique monétaire conventionnelle de resserrement, le président Trump use de tout son poids pour une politique monétaire plus accommodante. Abordant bientôt une année électorale, il ne veut surtout pas voir une Federal Reserve très conservatrice compromettre une santé économique étincelante jusque-là.
Il résulte de ces changements un marché obligataire très favorable. Pour la Tunisie, malgré la détérioration des fondamentaux et l’image terne de la signature du pays sur les marchés, sortir en ce moment est opportun. Si le coupon, du nouvel eurobond, qu’on devra payer ne sera pas très différent du précédent, la détérioration éventuelle de la marge de crédit sera compensée par les taux euros extrêmement bas.
La sortie sera en euro même si la sagesse conventionnelle prône le marché du dollar où il y une bien meilleure liquidité et une marge de crédit potentielle plus faible. Le choix d’une sortie en euro est plus approprié car ces dernières années le stock de dettes contractées a sérieusement été déséquilibré vers le dollar où le coupon nominal sera plus élevé.
Le plus grand dommage c’est que la Banque centrale de Tunisie ne dispose pas encore des outils nécessaires (Swaps) pour pouvoir convertir des créances dollars en euros et ainsi profiter de la faible marge de crédit du marché où il y a plus de liquidité, tout en payant le prix nominal du marché qui offre le coupon le plus bas.
(N.B: cette article a été élaboré bien avant la sortie de la Tunisie sur le marché financier international).