Que faut-il retenir du parcours du président tunisien Béji Caïd Essebsi (BCE) ? Décédé aujourd’hui, 25 juillet à 10h25 minutes à un moment où la Tunisie s’apprête à vivre de nouvelles élections présidentielle et législatives.
Premier président tunisien élu au suffrage universel
Suite à son élection comme président de la République tunisienne, Béji Caïd Essebsi est le premier président à accéder à ce poste par les urnes. Et ce suite à des élections libres, indépendantes et transparentes. Faut-il rappeler que suite à une course à la présidentielle en 2014, Béji Caïd Essebsi l’a remporté avec 1 731 529 voix (55,68% des voix), contre son rival Mohamed Moncef Marzouki (1 378 513 voix soit 44,32% voix). Tous les observateurs des élections qu’ils soient Tunisiens ou étrangers ont confirmé la transparence de ces élections, qui désormais, sont un exemple à suivre dans le monde arabe. Des élections qui ont épargné à la Tunisie le pire et qui annoncent la rupture avec l’esprit du parti unique et la dictature.
Contre l’exclusion politique à tout prix
Alors que les partisans de la Révolution tunisienne ont plaidé pour l’exclusion politique de tous les symboles de l’ancien régime et tous ceux qui ont occupé des postes clés dans les structures du parti unique le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), sous prétexte de l’immunisation de la révolution, BCE, à l’époque, président et fondateur de Nidaa Tounes, a affiché son refus catégorique contre le projet de loi de l’immunisation de la révolution.
BCE a affirmé que tous les dossiers doivent être transférer à la justice et qu’il ne faut pas établir des listes de coupables à l’aveuglette. D’ailleurs, l’Assemblée nationale constituante (ANC) a fini par rejeter le projet de loi en question en 2013, qui a été présenté et défendu bec et ongle par mouvement Ennahdha et le Congrès pour la république (CPR).
Dans la même perspective, il a présenté un projet de loi qui porte sur « la réconciliation économique et administrative », en 2015. Cette initiative législative présidentielle s’est retrouvée face à une opposition farouche. Et pourtant BCE avait l’intime conviction qu’elle aurait un impact économique important pour la Tunisie. Une initiative qui pouvait, selon lui, tourner la page du passé tout en conciliant les impératifs de la justice transitionnelle et le déblocage de la situation administrative.
Partisan du consensus en Tunisie
Le consensus. Voici l’une des expressions favorites de la classe politique tunisienne. Alors que la Tunisie était à la croisée des chemins entre ceux qui prônaient une Tunisie libre et laïque et les partisans d’une Tunisie rétrograde et islamiste. La situation politique était à son paroxysme, ce qui nécessitait la mise en place d’un terrain d’entente entre le mouvement Ennahdha et Nidaa Tounes, les principaux partis politiques dominants de la scène politique. Et le consensus ne manque pas de se réaliser entre Béji Caïd Essebsi et Rached Ghannouchi, président et fondateur du mouvement Ennahdha. De ce fait, BCE accepte de s’entretenir avec Rached Ghanouchi en août 2013 (rencontre de Paris) pour entamer une étape du consensus. Un consensus qui s’est réaffirmé avec la formation du gouvernement de Habib Essid le 6 février 2015 dans lequel le mouvement Ennahdha fait partie. Et ce, malgré une forte opposition à sa présence. Plus tard, BCE sera l’artisan du célèbre Document de Carthage 1 qui aboutira à la formation d’un gouvernement d’union nationale, présidé par Youssef Chahed depuis le 27 août 2016.
Plus d’émancipation des femmes tunisiennes
Avec la Commission des libertés individuelles et de l’égalité (Colibe) qu’il a créé le 13 août 2017, Béji Caïd Essebsi s’est mobilisé pour donner plus de droit aux femmes tunisiennes. Et notamment l’égalité dans l’héritage qui est une revendication du mouvement féministe en Tunisie depuis des décennies. Egalement, cette commission est chargée d’amender toutes les lois qui portent atteinte aux libertés individuelles en Tunisie. Le rapport est resté dans les tiroirs de l’Assemblée des représentants du peuple. Cependant, il constitue un pas de plus vers l’émancipation des femmes et l’amendement des lois rétrogrades. En cas d’adoption du rapport de la COLIBE par la prochaine Assemblée des représentants du peuple, Béji Caïd Essebsi serait l’initiateur d’une nouvelle révolution dans l’histoire du féminisme tunisien.
L’homme de l’ancien régime qui a mené le pays à bon port en 2011
Bien évidemment, BCE n’était pas l’un des hommes de la révolution du 17 décembre 2010 / 14 janvier 2011. Loin de tout esprit révolutionnaire, BCE a occupé plusieurs postes clés sous deux régimes politiques qui prônaient le parti unique. Il était l’un des piliers du régime du premier président de la République Habib Bourguiba. Puis il a occupé un certain nombre de postes politiques sous le règne du président déchu Ben Ali. Mais il a fini assez tôt par en prendre ses distances. Ensuite, BCE a été nommé comme premier ministre du premier gouvernement post-révolutionnaire, le 27 février 2011. Il a su alors organiser les élections de l’Assemblée nationale constituante dont la mission était la rédaction de la nouvelle constitution de la Tunisie. Ainsi, contrairement aux traditions révolutionnaires, un homme de l’ancien régime a rendu service à la révolution.