Focaliser sur les dernières années, comme le font certains, pour grossir le trait d’un pays qui va mal est sans doute faux. Une certaine continuité existe depuis l’avènement de la République et peut être observée. De quoi se demander si les problèmes que connaît le pays sont culturels, sociétaux ou structurels. Des expressions qui peuvent paraître largement philosophiques, mais qui racontent le vécu tunisien.
25 juillet 1957-25 juillet 2019. La Tunisie est une République depuis soixante-deux ans. Après avoir vécu pour l’essentiel de son histoire sous le règne de monarchies et de régimes totalitaires. Selon le moule occidental de ce qui est une démocratie et de ce qui ne l’est pas.
Même si un régime républicain n’est pas dans la logique des choses automatiquement démocratique. La preuve ? Les années Bourguiba (1957-1987) et les années Ben Ali (1988-2011) n’ont pas été un exemple du genre en matière de démocratie !
Que ce soit sous Bourguiba ou sous Ben Ali, la démocratie n’a été essentiellement que de façade. Et ce, selon toujours le moule occidental, avec partout les mêmes travers. A savoir domination du parti unique et de son chef, violation des droits de l’Homme, des libertés publiques limitées pour ne pas dire toujours spoliées…
Avec la révolution du 14 janvier 2011, évidemment de grands changements ont largement été perçus. Notamment au niveau des libertés publiques. Car, personne ne peut en douter, une véritable chape de plomb a totalement disparu laissant les Tunisiens libres de s’exprimer sans être inquiétés.
Cherté de la vie, chômage, inflation, détérioration de la valeur du dinar…
Mais n’est-ce pas là, disent certains commentateurs et observateurs, le seul terrain sur lequel la transition démocratique a fait de réels progrès. Car, les Tunisiens sont loin d’être satisfaits de l’évolution que connaît le pays depuis 2011. Notamment pour la situation économique qui n’a fait qu’empirer. Et ce, avec la cherté de la vie, chômage, inflation, détérioration de la valeur du dinar …
Une situation qui n’a fait que compliquer la vie des Tunisiens. Dont certains ont déjà perdu confiance dans la classe dirigeante. Il faut dire que certains politiques ont donné la preuve par leurs actes qu’ils ne se soucient guère des souffrances de leurs concitoyens.
En fait, si la situation a sans doute empiré depuis 2011 cela ne veut pas dire, comme essayent de le faire croire des parties, que tout était pour le mieux avant la Révolution. Car, si le pays souffre autant aujourd’hui, c’est parce que l’héritage n’est pas reluisant.
Des erreurs ont été largement commises au niveau de la gouvernance avec les travers que tout le monde connaît. Comme le déséquilibre régional qui continue à constituer le talon d’Achille de l’économie nationale.
N’oublions pas ici les errements du passé. Comme l’échec de l’expérience collectiviste. Ou encore celle de la politique libérale des années soixante-dix. A relever à ce niveau que ce n’est pas la première fois que le FMI est appelé à la rescousse du pays.
Avons-nous oublié les difficultés de la moitié des années quatre-vingt et les ajustements qu’elles ont exigés ? Notamment le Programme d’Ajustement Structurel (PAS) et ce qu’il a demandé comme efforts à la communauté internationale.
L’ancien régime est quelque part responsable
Même si on indique, ici et là, que la gestion des affaires de l’Etat était meilleure à ce moment-là. Comme à d’autres occasions. Un des leaders de l’opposition, Ahmed Néjib Chebbi, a soutenu au cours d’une émission de télévision que l’ancien président Ben Ali a réussi à mieux négocier les intérêts économiques du pays.
De ce côté des choses, ne faut-il pas reconnaître que l’ancien régime est quelque part responsable. Si l’on dit qu’une partie de la classe politique venue après 2011 n’avait pas la compétence de ceux qui l’ont précédée, c’est parce que celle-ci a été aussi exclue de la scène politique et publique. Et n’était pas préparée à gérer la chose publique. Occasionnant immanquablement l’ire des Tunisiens.
Sans oublier –et le sujet est à méditer- parce que les vents du changement avec ce qu’ils ont occasionné comme vagues anarchiques –le « Dégage »- et l’affaiblissement de l’Etat ont joué un rôle crucial dans la situation du pays.
N’a-t-on pas, dans ce même ordre d’idées, pensé que les choses allaient pour ainsi dire de soi ? Beaucoup de dirigeants ont découvert sur le tard et souvent à leurs dépens que la gestion des affaires publiques exige un certain vécu, une expérience et des moyens qu’ils n’ont pas.
Or, le pays, on l’a vu, a des moyens bien limités. Du moins des moyens incapables de satisfaire les attentes d’une population qui croyait qu’ « il n’y a qu’à… ». Découvrant, en outre, les lourdeurs des procédures et des démarches administratives. Sans occulter, le farniente qui distingue nombre de Tunisiens.
A se demander si les problèmes que connaît le pays sont culturels, sociétaux ou structurels. Des expressions qui peuvent paraître largement philosophiques, mais qui racontent le vécu tunisien.
La révolution a-t-elle changé, par exemple, l’attitude du Tunisien vis-à-vis du « Rezk al bilik » (le domaine public) et le travail ? Ne devait-elle pas apporter des changements à ces niveaux ? Il suffit de suivre de près certains comportements pour s’assurer que ce n’est pas le cas.
République : les textes ont-ils été bien réfléchis ?
Et si la République était malade, en outre, aussi de son élite. Comme indiqué plus haut,des faits et gestes révélés depuis la révolution du 14 janvier 2011 ont montré que des membres de cette classe ne sont pas là pour donner l’exemple.
A commencer par les députés qui ont été largement critiqués pour certains choix. De quoi pousser certains à se poser la question suivante : les soixante-deux ans de la République ont-ils opéré des changements réels dans la mentalité de tout un chacun ?
L’imbroglio juridique que vit le pays, à l’heure où il célèbre le soixante-deuxième anniversaire de la République, ne montre-t-il pas du reste que des textes n’ont pas été bien réfléchis ?