L’interview de Youssef Chahed, diffusée par la chaîne nationale jeudi soir, suscite naturellement des observations. Et ce, aussi bien sur le fond que sur la forme.
Tout d’abord, cette longue interview est diffusée à la veille du dépôt des candidatures à la première élection présidentielle anticipée dans l’histoire de la Tunisie. Et juste après la fin de la période de deuil de sept jours annoncée par le chef du gouvernement.
Si certains lui reprochent son entrée en campagne électorale prématurée, avant les délais fixés par l’ISIE; Youssef Chahed a tenu sa promesse de ne pas se prononcer sur le décès du Président de la République avant la fin de cette période.
Ainsi, près des trois-quarts des questions adressées au chef du gouvernement convergeaient vers le volet politique. Sur ce registre, les deux journalistes interpellèrent le chef du gouvernement sur la situation au sein de son jeune parti Tahya Tounes. Mais aussi sur la promulgation de l’amendement de la loi électorale. Les questions portèrent également sur sa relation avec le défunt Président de la République, avec sa famille. Et la vérité de son décès, sa relation avec Ennahdha…
« Je vous ai vu pleurer Monsieur le chef de gouvernement… », avance, en avant-goût et dans premier train de questions, le journaliste de la télévision nationale. Là, Youssef Chahed saisit parfaitement l’occasion de rappeler qu’il partage avec tous les Tunisiens des sentiments de tristesse et de compassion.
Puis, évoquant les difficultés rencontrées après sa nomination à la tête de gouvernement, Youssef Chahed les a attribuées à la vieille garde. Une façon de prendre ses marques dans la tranche « jeune » du corps électoral. Il a, en effet, reconnu avoir été victime d’un conflit générationnel dès sa nomination à la Kasbah.
Calcul politique ou pas ?
Quant à l’annonce de sa candidature, le chef du gouvernement réussit parfaitement à éluder cette question. D’ailleurs, ses propos portaient implicitement une réponse tant attendue : « J’ai pris ma décision, mais je préfère ne pas en parler pour le moment. Je suis ici en qualité de chef du gouvernement« , répond aisément Youssef Chahed. Calcul politique ou pas ?
De plus, il a tenu à rappeler qu’il a fait de la lutte contre la corruption sa priorité. il se présente comme un homme d’Etat, un profil très recommandée en cette période pré-électorale.
Toutefois, le contenu de l’interview était plus politique qu’économique. Elle montre clairement le grand écart entre la politique et l’économie. Bref, nous sommes restés sur notre faim quant aux dossiers économiques. Surtout que la date de l’interview marque aussi la troisième année de la nomination de Y. Chahed à la tête du gouvernement. Les deux journalistes ratent ainsi l’occasion de l’interpeller sur son vrai bilan économique durant ces trois dernières années.
Dans les idées qu’il exprimait hier, Youssef Chahed rappelle les grandes lignes du budget de l’Etat. Il redit à chaque occasion la réussite de son gouvernement qui a pu « éviter le pire et le scénario grec ». Il cite notamment le redressement du dinar, la diminution du déficit budgétaire, la relance du secteur du tourisme, le record de la production des céréales et l’endiguement des pressions inflationnistes.
Sauf qu’on avait omis d’aborder plus largement les dossiers de l’Aleca, le déficit de la balance commerciale et énergétique, la dégradation du pouvoir d’achat, la faible croissance, l’anarchie des circuits de distribution, la pression sur les finances publiques et la question de la dette. Autant de questions qui n’ont pas été ou à peine évoqués.
Le fait est que personne ne peut aujourd’hui ne pas se préoccuper de l’aggravation de la crise économique puisque tous les clignotants sont au rouge. Les politiques doivent comprendre l’économie telle que la vivent les Tunisiens. Ils seraient bien inspirés d’aller au contact des salariés pour savoir ce qu’ils en pensent.