Après de longues discussions dévoilant les dissensions et les controverses en son sein, Ennahdha a fini par choisir un candidat issu de ses rangs, Abdelfattah Mourou. Et ce, pour l’élection présidentielle du 15 septembre.
Rached Ghannouchi a eu du mal à cacher sa déception de cette issue. Certes, il a affirmé que « c’est dans la nature des choses et de la démocratie que les partis entrent dans la compétition avec leurs propres candidats ». Mais le ton de sa voix et le contenu banal de sa réaction ne laissent aucun doute sur le sentiment de malaise que le président d’Ennahdha n’a pas réussi à cacher.
N’ayant pu exprimer le fond de sa pensée, c’est son gendre, Rafik Abdessalem, qui l’a fait à sa place en publiant hier tard dans la soirée cette réaction sur sa page facebook :
« Nonobstant mon respect pour Cheikh Abdelfattah Mourou, le choix d’un candidat au sein d’Ennahdha est une erreur et ne correspond en rien aux conditions qu’exigent l’étape actuelle. L’unité autour de l’erreur est une unité biaisée et fausse. »
Le président de Majlis Echchoura (Conseil de la Choura), Abdelkrim Harouni, a adopté une position triomphaliste à la limite de la fanfaronnade. « C’est une décision historique. Pour la première fois depuis 50 ans, le mouvement Ennahdha présente son propre candidat à l’élection présidentielle« , déclare-t-il.
A le croire depuis qu’ils n’étaient qu’une simple « Association de sauvegarde du Coran » jusqu’à leur intégration corps et âme dans le mouvement de Hassan al Banna et Sayyed Qotb, les islamistes tunisiens n’avaient qu’un but : la présentation d’un candidat à la présidentielle et non l’instauration par la violence d’un Etat islamique et de l’application rigoureuse de la Chariaa…
Mais revenons à l’étape actuelle dont parle Rafik Abdessalem dans sa page Facebook. Ennahdha est aujourd’hui à un tournant. Le vieux gourou qui dominait le Mouvement depuis sa création vient de perdre l’ultime bataille pour perpétuer sa mainmise sur le Mouvement qui dure depuis des décennies. Jusqu’à cette nuit historique du 6 au 7 août 2019, Ghannouchi avait toujours imposé ses vues, même si elles n’étaient pas partagées par la majorité des cadres et des militants de base. Ce n’est plus le cas. Parce que Ghannouchi a tout fait pour qu’Ennahdha choisisse un candidat en dehors de ses rangs et n’a pas réussi. Une page semble tournée en faveur d’Abdellatif Mekki, le principal opposant au « pouvoir sans limite » de Ghannouchi et grand partisan d’une candidature choisie dans les rangs du mouvement islamiste.
Majlis Ecchoura a-t-il bien fait de choisir l’un des siens à la candidature présidentielle ? Ce que l’on peut dire avec certitude est qu’il a pris des risques.
Le premier risque est de montrer le vrai poids d’Ennahdha dans le pays que les précédentes élections législatives ont donné de manière largement biaisée.
Le second risque, avec les candidatures de Moncef Marzouki et de Mohammed Abbou, et bien sûr de Hammadi Jebali qui, ayant échoué à être le sixième Calife, veut être le 7e président, avec toutes ces candidatures donc, celle d’Abdelfattah Mourou a toutes les chances d’accentuer la dispersion des voix de l’électorat d’Ennahdha.
Le troisième risque est que l’éventuel échec du candidat nahdhaoui à arriver au deuxième tour, se répercuterait négativement et aurait des conséquences désastreuses pour les candidats islamistes aux élections législatives.
Enfin, compte tenu de la très mince chance d’Abdelfattah Mourou d’être le prochain locataire du Palais de Carthage, Ennahdha risque de se voir privée de toute influence sur le prochain président. Alors que sa stratégie a toujours été de barrer la route de la présidence à quiconque ne prendrait pas en compte les intérêts du Mouvement islamiste.
Mais si Ghannouchi avait réussi à imposer sa vue et à convaincre Majlis Echchoura à choisir un candidat d’un autre parti ou indépendant, Ennahdha serait-elle dans une meilleure posture ? Rien n’est moins sûr.
Sur le plan international, l’islam politique n’est plus en odeur de sainteté. L’étau ne cesse de se resserrer autour de lui et son influence se réduit comme une peau de chagrin. Il s’accroche désespérément à la Turquie d’Erdogan et au Qatar de Tamim. Mais celle-là est engluée jusqu’au cou dans le bourbier qu’elle s’est créé, et celui-là n’hésiterait pas le moment venu à faire un virage à 180°.
Sur le plan intérieur, les Tunisiens savent que l’islam politique est responsable de toutes les misères et de tous les malheurs qui accablent le pays depuis plus de huit ans.
Toute la question est de savoir si le candidat d’Ennahdha, celui-là même qui embrassait l’infect Wajdi Ghanim sur le front et lui chuchotait à l’oreille « pour les grands, c’est foutu, nous ne pouvons rien faire, c’est de leurs petits que nous devons nous occuper », toute la question est donc de savoir si un tel candidat a la chance non pas de devenir le 7e président, mais de dépasser le premier tour ?