TUNIS,6 août (TAP)-« Le Code des eaux doit disposer clairement que les services liés à l’eau ne sont pas susceptibles de faire l’objet de partenariats publics-privés (PPP) et que l’eau doit être considérée comme un bien public et non comme un service public ou une marchandise », telle est la recommandation principale de l’Observatoire Tunisien de l’Economie avant la soumission de la version finale du nouveau Code des eaux, très prochainement, au Conseil des ministres.
Dans son dernier rapport intitulé « Politique de l’eau: le nouveau Code des eaux saura-t-il répondre à la crise de l’eau en Tunisie?« , l’observatoire appelle à la protection du droit de l’accès à l’eau à travers « un article excluant le service de l’eau des contrats PPP dans le nouveau code des eaux ». Ainsi, il s’agit de tout une vision à l’eau en Tunisie.
Il considère, ainsi, que « les PPP sont loin de représenter un « partenariat » idéal et peuvent comporter un certain nombre de dangers, et ce, d’autant plus pour un bien public aussi sensible que l’eau ». Entre société civile et le gouvernement, le sujet de l’eau en Tunisie demeure un objet de tractations.
Eau en Tunisie : halte au PPP !
« En effet, alors que les PPP sont le plus souvent présentés comme une solution à l’endettement de l’Etat tout en permettant de développer des infrastructures, ils sont régulièrement dénoncés comme un « endettement dissimulé ». La personne publique doit tout de même payer un loyer, qui ne figure pas dans son calcul de dette. L’endettement est en réalité reporté sur le moyen et long terme, portant le poids budgétaire sur les générations à venir, réduisant considérablement leur souplesse budgétaire », soutient encore l’observatoire.
Pire, » en Tunisie, avec l’ONAS et la SONEDE déjà lourdement endettés, les PPP risquent alors fortement d’alourdir ce poids. Dans le cas du dessalement, la facture peut revenir très cher pour le citoyen, mais surtout pour la SONEDE. Puisque le citoyen paie le prix de l’eau bien en-dessus des coûts d’exploitation des usines de dessalinisation.
De la difficulté de mener à bon port les négociations
De plus, la négociation des contrats n’est pas sans complications pour le partenaire public. 55% des PPP seraient renégociés, environ tous les deux ans, dans l’immense majorité des cas en favorisant le secteur privé. Le rapport public-privé devient alors très déséquilibré en faveur des opérateurs privés, surtout face à des autorités publiques inexpérimentées et qui n’ont pas les moyens de recourir à des juristes et économistes spécialisés dans ce type de dispositif contractuel complexe, comme les collectivités locales « , lit-on encore dans ce rapport.
« Si l’UGTT a vraiment réussi à supprimer les articles concernant les PPP dans le nouveau code des eaux, le secteur de l’eau reste toujours accessible à ces contrats. En effet, ni la loi relative aux contrats PPP ni celle de l’investissement et encore moins celle de l’amélioration du climat des affaires n’exclut le secteur de l’eau du partenariat public-privé » s’inquiètent-ils encore pour arriver enfin à la conclusion que « pour protéger le droit d’accès à l’eau, un article excluant le service de l’eau des contrats PPP doit impérativement être inclus dans le nouveau Code des eaux ».
Le Code des eaux : objet de tractations
Ce Code a été le sujet de plusieurs tractations entre les différents intervenants, à savoir l’UGTT, l’UTAP et la société civile. Pour l’UGTT, elle s’est opposée à un certain nombre d’articles qu’elle considère comme nuisibles au bien public et ouvrant la porte à la privatisation du secteur de l’eau. De plus, l’UGTT refusait d’ « enterrer » le Code des eaux de 1975 et proposait d’amender ses lacunes. Cependant, la commission spéciale de la présidence du gouvernement a refusé cette demande. Elle estime que le plus approprié était de suivre la vision stratégique du Ministère de l’Agriculture en tant que ministère en charge de ce secteur.
Puis, le conflit se poursuit entre l’UTAP et le gouvernement sur le même sujet. La centrale agronome a exprimé dans un communiqué en juin son mécontentement quant à la formulation du nouveau Code des eaux, sa non-implication dans les processus de décision ainsi que le manque de considération pour ses propositions. Il a cependant finalement signé un accord avec le ministère de l’Agriculture concernant le Code des eaux le 10 juillet 2019.
De quelle version définitive parle-t-on?
Le ministère déposera la version « définitive » au Conseil des ministres pour approbation. Dix ans après le début du projet. Le nombre important de versions et de modifications qui ont eu lieu depuis 2009 prouve l’importance de l’eau et les tensions que sa gestion peut susciter.
Le rapport considère que « malgré la multiplicité des versions de ce code, des éléments essentiels ont surgi dans le débat général autour de ce nouveau code des eaux ». Et de poursuivre : « Si ce nouveau code des eaux a qualifié l’eau de « patrimoine », en lien direct avec les impératifs de développement durable et la notion de bien commun en harmonie avec la Constitution de 2014 et son Article 44, le nouveau code ne concrétise pas ce droit et ne veille pas, par des mécanismes clairs, à son application »
Sur un autre volet, le rapport avance que si le nouveau code « intègre les changements climatiques, il ne donne pas d’importance aux cas extrêmes, alors que les inondations survenues fin 2018 à Nabeul et la gestion chaotique de cette catastrophe naturelle sont encore dans les mémoires ». Une seule certitude demeure concernant l’eau en Tunisie : elle se fait de plus en plus rare.