Contre tous les donneurs de leçons, contre tous les interventionnistes dans les affaires tuniso-tunisiennes et leurs larbins, contre toute vision défaitiste prônant le rapport colonisateur/colonisé d’une époque révolue, ce papier est un cri de rage qui veut remettre la pendule à l’heure.
Du haut de son héritage socioculturel et historique, la femme tunisienne n’a pas de leçon à apprendre de quiconque ni des règles occidentales de l’ingérence dans les affaires intérieures des pays arabes ni des monarchies du pétrodollar wahabit qui ne regardent pas d’un bon œil les exploits réalisés par le mouvement féministe en Tunisie.
A l’instar de l’anthropologue féministe américaine d’origine palestinienne Lila Abu-Lughod qui s’interroge dans un article très célèbre intitulé Do Muslim Women Need Saving? Je m’interroge également Do Tunisan women need saving? L’héritage culturel des femmes de mon pays est leur véritable bouclier contre la restauration des pratiques d’un autre âge. Armée des réalisations de leurs ancêtres, les femmes tunisiennes n’ont pas besoin d’être sauvé. L’enjeu dépasse de loin la conquête du corps féminin sous la bannière de la libération des femmes.
Une bataille homérique de longue haleine
En Tunisie, le combat pour l’émancipation de la femme tunisienne a commencé bien avant le 20ème siècle. En effet, les réalisations acquis au 20ème siècle sont l’aboutissement d’un long parcours. A une époque où le terme « féminisme » n’a pas encore vu le jour, des femmes tunisiennes se sont livrées à une lutte sans merci contre un contexte social et historique hostile à leur affranchissement. Elles ont, ainsi, traversé un long chemin semé d’embûches pour dépasser la condition de femmes subalternes. Elles sont devenues ainsi les chantres d’un féminisme avant l’heure.
D’ailleurs, chacune à sa manière a su s’insurger contre les traditions rétrogrades de son époque. Elles se sont insurgées en ayant comme seule arme le courage de l’individu révolté contre une société patriarcale assujettie à ses propres dogmes. A ces époques, portées à bout de bras par une vision misogyne, ces traditions ont été hissées au rang de texte sacré.
De ce fait, la femme tunisienne s’est trouvée toute seule contre un triple obstacle : une mentalité misogyne qui règne en maître, une interprétation tendancieuse des textes religieux pour justifier l’oppression des femmes et l’interdiction de l’accès à l’éducation. Qu’une femme réfléchisse à détruire ses trois remparts qui endiguent sa liberté, relevait de l’impossible. Et pourtant des femmes y ont cru et l’ont fait.
Parce que la liberté est femme, la révolution est femme, et la rose est femme, la femme tunisienne a porté en elle les germes de la révolution et les prémices de son émancipation depuis des siècles. En ce 13 août 2019, nous ne pouvons que nous incliner devant les mémoires de ses femmes précurseurs, sans qu’elles le sachent, de la lutte pour l’affirmation de l’identité féminine. En ce 13 août 2019, je salue les âmes de ces militantes dont les enseignements sont passés à la postérité. Je me contente, de citer trois figures féminines qui illustrent mes propos. Trois femmes qui continuent à nourrir l’imaginaire collectif des Tunisiens.
Arwa la Kairouanaise ou les prémices de la monogamie
Qui aurait cru qu’au deuxième siècle de l’hégire, une femme kairouanaise a pu imposer au fondateur de Bagdad Abou Jaafar Al Mansour la monogamie ? Rien que d’y penser est un sacrilège. D’ailleurs, à un moment où le texte coranique donne la possibilité à la gente masculine d’épouser quatre femmes, cela était inconcevable. Mais comme la passion est dévastatrice, le calife a fini d’accepter les conditions d’Arwa pour pouvoir l’épouser. Le contrat stipule que si le Calife épouse une autre femme, Arwa peut le répudier systématiquement. D’ailleurs ce type de contrat s’est répandu dans d’autres pays arabes notamment en Andalousie. De ce fait, ce contrat atypique était les premières pierres dans édifice de l’émancipation de la femme.
Dihya ou le combat sans répit contre les conquérants
En effet, Dihya est l’une des femmes qui ont marqué l’histoire de la Tunisie et du Maghreb. Appartenant à cette terre, elle a combattu corps et âme les Omeyyades. Les arabes l’ont appelé “ Al Kahina” (en français la prêtresse). Et pour cause qu’ils n’ont pas cru qu’une femme puisse diriger une armée pour les combattre. D’ailleurs, elle s’est engagée dans deux batailles contre l’armée arabe. Pour elle, il n’était pas question de se résigner ou de céder sa terre aux conquérants. La première bataille est appelé la bataille des chameaux. A l’issue de cette bataille, Dihya a pu évincer des forces arabes d’Ifriqiya pendant 5 ans, suite à un combat spectaculaire contre le général omeyyade Hassan Ibn Numan. Malheureusement pour cette héroïne, cinq ans plus tard, après avoir obtenu un renfort militaire de taille, du calife omeyyade Abd Al-Malik le général attaque de nouveau. Elle subit une défaite et est tuée à Tabarka vers 703.
Aziza Othmana : l’abnégation est une femme tunisienne
En effet, cette princesse tunisienne appartient à la dynastie beylicale des Mouradites. Elle a vécu au 17ème siècle. Que dire d’elle? Aziza Othmana était l’incarnation du sacrifice et de l’abnégation. De nos jours, certains disent “il croit que je suis Aziza Othmana”. La princesse mouradite pourrait être à l’origine des œuvres caritatives et de la Fondation. Rien que de voir l’ampleur de ses réalisations pour s’en rendre compte. Vers la fin de sa vie, elle affranchit tous ses esclaves. Elle constitue en habous la totalité de ses biens, au profit d’œuvres caritatives. Dans une organisation parfaite et bien organisée, elle a lancé des fonds. En effet, chaque fonds est destiné à un objectif particulier. Affranchir les esclaves, offrir des trousseaux de mariage pour les jeunes filles démunies et autres objectifs. Et ce n’est pas uniquement ça. Poussant la générosité à l’extrême, la princesse généreuse a offert tout son patrimoine, dans son testament.