Indépendamment de la légalité de l’arrestation que l’avocat Me Kamel Ben Messaoud met en cause en citant le code de procédure pénale, la décision de mettre en prison le candidat à l’élection présidentielle Nabil Karoui est une bourde politique monumentale.
Les défenseurs de l’arrestation de Nabil Karoui mettent en avant l’indépendance de la justice, et ses pourfendeurs dénoncent l’inféodation du pouvoir judicaire à l’exécutif qui l’utilise pour régler ses comptes avec ses adversaires politiques.
Pour les premiers, Nabil Karoui est un détenu de droit commun sur qui pèsent de lourdes accusations de corruption et de blanchiment d’argent ; pour les seconds, il est un prisonnier politique, victime de l’acharnement du pouvoir exécutif dont la détermination à lui barrer la route de la présidence ne date pas d’aujourd’hui.
Il faut dire que les arguments des pourfendeurs de la décision d’arrêter Nabil Karoui sont plus solides et plus convaincants que ceux relatifs à l’ « indépendance de la justice » auxquels s’accrochent désespérément ses défenseurs. Ceux qui accusent le chef du gouvernement d’utiliser la justice pour régler ses comptes avec ses adversaires politiques ont sorti leur argument-massue : « La loi d’exclusion » votée par le parlement et que le défunt président, au grand dam du gouvernement, a refusé de signer.
De là à dire qu’après l’amère déception gouvernementale de voir cette loi votée et enterrée, le gouvernement cherche à l’appliquer d’une autre manière, beaucoup ont franchi le pas en criant haut et fort leur crainte des menaces qui pèsent très sérieusement sur la transition politique et sur le processus démocratique dans son ensemble que le peuple tunisien a chèrement payé durant plus de huit ans d’anarchie, de terrorisme, de déclin économique majeur et d’appauvrissement matériel et moral.
A trois semaines de l’élection présidentielle, le gouvernement Youssef Chahed a-t-il vraiment besoin de ce tohu-bohu médiatique au niveau national et international ? Quel intérêt tiret-t-il de cette large couverture de l’événement et des commentaires de la presse nationale et internationale dont l’écrasante majorité pointe un doigt accusateur à l’autorité politique en Tunisie ? Un exemple parmi tant d’autres : quelques heures après l’arrestation de Nabil Karoui, le journal français « Le Point’’ accuse carrément le gouvernement Youssef Chahed de « règlement de comptes politiques ».
Un chef de gouvernement responsable avec des conseillers politiques compétents ne prend jamais de décisions dont l’effet boomerang est évident et certain. En d’autres termes, un gouvernement qui veut se débarrasser d’un adversaire, ne verse pas de l’eau dans son moulin. C’est précisément ce qu’a fait le gouvernement de M. Youssef Chahed.
Compte tenu du statut de M. Nabil Karoui (candidat à la présidence) et du moment choisi pour l’arrêter (à trois semaines de l’élection et à quelques jours du début de la campagne électorale), l’internement du candidat Karoui à la prison de Mornaguia la veille d’un week-end est de toute évidence plus dommageable pour l’image du chef du gouvernement que pour celle de son adversaire politique. Aurait-il voulu l’aider à gagner des points et à augmenter son degré de sympathie auprès des Tunisiens qu’il ne se serait pas pris autrement.
Le paradoxe dans cette affaire est que M. Chahed, voulant présenter son adversaire comme un corrompu et un blanchisseur d’argent, il n’a réussi à en faire aux yeux de l’opinion nationale et internationale qu’un candidat à l’élection présidentielle avec des chances sérieuses et victime d’un règlement de comptes politiques.
Comme si le bilan économique et social désastreux ne suffit pas, le chef du gouvernement multiplie les bourdes politiques dont celle qui consiste à arrêter un candidat à la présidence à trois semaines de l’élection n’est pas la moindre.