L’institut de sondage Sigma Conseil a publié hier soir, 15 septembre, ses estimations pour le résultat du premier tour de la présidentielle anticipée 2019. Selon ce sondage annoncé sur un certain nombre de médias tunisiens, les deux candidats à la présidentielle Kaïs Saïed et Nabil Karoui vont passer au deuxième tour.
Ainsi, la présidentielle anticipée ne manque pas de surprendre les Tunisiens. En effet, Kais Saïd est arrivé premier avec 19,5% suivi de Nabil Karoui 15,5%. De fait, il s’agit d’un résultat inattendu même pour les observateurs avertis de la scène politique tunisienne. Ce vieux constitutionnaliste et ce patron d’une chaîne privée des plus populaires ont créé une surprise agréable pour les uns mais désagréables pour les autres. Ainsi, il semble que les Tunisiens assistent à une reconfiguration de la scène politique dans leur pays. Ce passage au deuxième tour est loin de passer inaperçu. Et ce pour plusieurs raisons qui interpellent les Tunisiens.
C’en est fini des partis politiques classiques
Qu’on le veuille ou pas, les partis politique n’ont plus le poids qu’ils avaient auparavant en 2011 et en 2014. Au cours des échéances électorales précédentes, on a assisté à l’effervescence de la vie politique. D’ailleurs depuis l’indépendance, les partis politiques qu’ils soient dans l’opposition ou au pouvoir étaient la seule dynamo de la vie politique. Maintenant, ce n’est plus le même cas de figure. On assiste à l’émergence de nouvelles figures de la scène politique. Ces figures n’ont rien à voir avec les partis politique de gauche, de droite, de centre, gauche et autres. Ces personnalités ne portent aucune bannière idéologique.
Il s’agit de personnes qui ont gagné la sympathie des électeurs pour une raison ou pour une autre. Prenons le cas du constitutionnaliste Kais Saïed. Il a pu gagner la sympathie des jeunes âgés entre 18 et 25 ans. Et ce grâce à sa manière atypique de parler, son arabe littéraire qu’on n’entendait pas souvent dans nos médias, le fait qu’il a prôné un discours sur l’Etat de droit, le respect de la Constitution. De même, il est connu par sa mobilisation contre la loi de la réconciliation économique.
En ce qui concerne Nabil Karoui, il s’inscrit dans une autre démarche. Son cheval de bataille est la lutte contre la pauvreté. En effet, Nabil Karoui a pu rassembler autour de lui, les plus démunis dans les régions. Faut-il rappeler que l’Etat de l’indépendance a oublié ses régions depuis des décennies. L’élite a beau insulter et traiter de tous les noms l’électorat de Nabil Karoui, cependant, leur choix a été décisif. Et, les urnes ont fini par rendre leur verdict. Ainsi toute voix compte lors de la présidentielle anticipée.
L’échec retentissant du camp centriste progressiste et démocrate
C’est un échec qui vient creuser le fossé entre le peuple et son élite. D’ailleurs, l’élite tunisienne semble déconnectée de la réalité de la classe moyenne et de la classe défavorisée. Ainsi, le discours de l’élite politique et ses termes pompeux tombent dans l’oreille d’un sourd. Qu’ils parlent de bourguibisme, de laïcité, d’égalité en héritage, de libertés individuelles, Monsieur tout le monde semble les ignorer pour ne pas dire qu’ils considèrent que ces sujets ne sont pas prioritaires dans la conjoncture actuelle.
Les figures de proue de la gauche, entre autres, ont crié sur tous les toits, mais en vain. La rupture entre eux et les Tunisiens est plus profonde qu’ils ne croient. Face à cet échec cuisant, Kais Saïed et Nabil Karoui ont su s’introduire pour interpeller les Tunisiens avec un autre type de discours qui braque la lumière sur le vécu des Tunisiens. Par ailleurs, force est de constater que le camp progressiste n’a jamais pu s’unir autour d’un seul candidat à la présidentielle. L’égoïsme, l’ego surdimensionné, la rage de devenir président ont fait que les candidats du camp progressiste échouent. En bref, la désunion a fait le lit de l’échec cuisant des partis politiques progressistes à cette présidentielle anticipée.
Ne nous leurrons pas, les réseaux sociaux n’ont rien à voir avec la Tunisie profonde
Bien évidemment, la Tunisie est entrée de plain pied dans l’époque du digital marketing et des réseaux sociaux. Dans cet espace virtuel, la majorité des partis politiques assurent leur présence électronique. D’ailleurs quelques partis politiques n’ont rien trouvé de mieux que de recourir aux services de blogueurs célèbres et des pages sponsorisées.
Tout cela est bien beau. Cependant, les partis politiques oublient souvent qu’entre les réseaux sociaux et ce qui se passent sur terrain, dans les cafés, les quartiers populaires, les facultés, les clubs culturels, l’arrière-pays, il existe toute une infinité de pensées. Les internautes connectés et collés à leur tablette et ordinateurs ne sont pas un indicateur fiable pour mesurer les tendances politiques des citoyens. Bien au contraire les réseaux sociaux ont induit en erreur les partis politiques. Pour être plus schématique, nous dirons que si la page officielle d’un parti politique contient 1 millions de fans, cela ne veut pas dire que ce parti est capable de mobiliser 300 membres pour un meeting populaire. La classe politique, notamment l’opposition, doit tirer la leçon et y réfléchir pour le deuxième tour de la présidentielle anticipée.
A bon entendeur!