Jinan Limam, enseignante universitaire à la Faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, dresse un état des lieux du processus électoral.
Jinan Limam revient sur l’affaire Nabil Karoui. Elle déclare: « La qualification du candidat emprisonné Nabil Karoui pour le second tour de la présidentielle constitue un imbroglio juridique inédit et soulève de multiples interrogations sur la qualité de notre justice, ainsi que sur l’issue des élections et du processus démocratique en général dans notre pays. »
Selon elle, l’affaire cristallise les « dix plaies » de notre système judiciaire. Rappelons que Nabil Karoui est placé en détention provisoire depuis le 23 août. Il s’agit d’une affaire qui remonte à 2016.
Mme Limam précise: « La concomitance de l’arrestation de Nabil Karoui donne incontestablement une coloration politique à l’affaire ». D’ailleurs, elle soulève des soupçons légitimes sur l’instrumentalisation de la justice pour évincer une candidature qui dérange.
Jinan Limam : « La justice ne semble pas consciente de sa défaillance initiale »
Elle ajoute: « Si la justice était efficace, l’affaire aurait été réglée dans un délai raisonnable et quel que soit le verdict, nous aurions eu certainement une autre donne électorale aujourd’hui parce que le succès de Nabil Karoui à la présidentielle (et sans doute le succès de son parti aux législatives prévues le 6 octobre) s’explique entre autres par le phénomène de victimisation et d’empathie. Ce succès électoral envoie aussi un message fort à la justice, celui de la défiance.
« Cette décision, qui est en vérité une non-décision »
Et de poursuivre: « Mais la justice ne semble pas consciente de sa défaillance initiale, elle refuse de statuer sur la demande de libération de Nabil Karoui. Les diverses juridictions se renvoient la balle et prétextent l’incompétence. Elle bafoue les principes élémentaires du droit tels la présomption d’innocence et l’égalité des chances. C’est encore plus grave encore, car cela s’apparente à un déni de justice. Ce qui aura des répercussions négatives sur la crédibilité des élections et sur leur caractère démocratique ». C’est pour la simple raison que la campagne électorale est inique et déséquilibrée. »
Autrement dit, ce blocage judiciaire est doublé d’une impasse juridique si Nabil Karoui gagne les élections.
Mme Limam conclut: « Le président dispose d’une immunité présidentielle mais à partir de quand est-elle opérationnelle, avant ou après qu’il prête serment ? Cette immunité peut –elle être rétroactive ? Peut-on envisager la suspension de la procédure jusqu’à la fin de sa présidence ? Que de questions qui restent sans réponses en raison d’un vide juridique qui doit être comblé par le nouveau Parlement. C’est d’ailleurs l’un des enjeux des prochaines élections législatives. »