Je regardais les news sur une chaîne tunisienne et j’étais surpris par une sortie médiatique d’un homme politique tunisien, méconnu pour moi, supporter de Nabil Karoui, candidat à la présidentielle. Après recherches, il s’agissait de Sofiene Toubel. Ce député scandait, lors d’un meeting politique à Gafsa, « Nabil Karoui est le Nelson Mandela de la Tunisie ».
Nelson Mandela ! C’est quoi le lien ?
Dans ma recherche de réponses, j’ai découvert le parcours de Nabil Karoui. Et ses différentes actions associatives et caritatives. Et ce, auprès des oubliés et nécessiteux, dans des régions éloignées des grandes villes.
Nabil Karoui, potentiel futur Président de la République, est actuellement en arrestation et aux mains de la justice. A priori, il est considéré pour certains, par sa situation et ses actions, comme un prisonnier politique comme l’a été Nelson Mandela !
J’ai trouvé que le raccourci était, pour le moins, surprenant et léger. Cela a, néanmoins, inspiré mon éditorial. Le parcours de Madiba était suffisamment inspirant et multidimensionnel. Qu’il pourrait être intéressant d’essayer d’identifier des points de ressemblances entre l’aventure tunisienne et l’expérience sud-africaine, à partir d’avril 1994, date de l’élection de Nelson Mandela.
Pour synthétiser en quelques points la démarche et la sagesse de Madiba, pour réconcilier la Nation Arc-en-ciel d’Afrique du Sud, post-apartheid. Il suffirait de reprendre quelques-unes de ses citations :
- « L’éducation est l’arme la plus puissante pour changer le monde ».
- « Ce qui compte, ce ne sont pas les individus mais le collectif ».
- « L’heure est venue de laisser derrière nous ce terrible passé. Qui a fait de notre pays l’objet de la haine des nations à travers le monde ».
- « L’honnêteté, la sincérité, la simplicité, l’humilité, la générosité, l’absence de vanité, la capacité à servir les autres – qualités à la portée de toutes les âmes – sont les véritables fondations de notre vie spirituelle ».
- « Il est difficile d’expliquer à quelqu’un qui a les idées étroites qu’être éduqué ne signifie pas seulement savoir lire et écrire et avoir une licence. Mais qu’un illettré peut être un électeur bien plus éduqué que quelqu’un qui possède des diplômes ».
Les deux qualifiés pour le deuxième tour de la présidentielle, sont donc Nabil Karoui et Kaïs Saïed.
Dans quelle mesure pouvons-nous nous lancer dans une comparaison ou bien une filiation avec Nelson Mandela ?
Soyons fous, aventurons-nous sur ce chemin escarpé. Et accordons-nous le droit à l’erreur. Avec comme seul objectif d’agiter les consciences et d’identifier des ressources transposables. Tout en permettant à la Tunisie de continuer à cheminer et à évoluer.
Nelson Mandela avait pour vision, avant même son élection, de réconcilier le peuple d’Afrique du Sud, avec son passé douloureux. Et d’aider la nation à faire le deuil d’un passage sombre de son histoire, l’apartheid et la ségrégation intégrale. Son objectif était de faire de l’Afrique du Sud une nation arc-en-ciel, multiraciale et démocratique.
Par conséquent, pour Madiba, il était sujet de compassion, de responsabilité et de pardon. Faire toute la lumière sur les excès du passé. Accorder une place centrale aux victimes et la mise en cause individuelle des responsables de violations des droits de l’Homme. Une démarche à la fois politique et thérapeutique, porté par la Commission Vérité et Réconciliation. Et ce, pour faire le deuil et se reconstruire à nouveau.
L’enchaînement avec les démarches affichées, des deux candidats à la présidentielle, pourrait sembler être osé.
Nabil Karoui, drapé dans l’étendard de la « lutte contre la pauvreté », viendrait en aide, via son association Khalil Tounes. Et notamment aux personnes nécessiteuses et dans la précarité sociale, dans des régions défavorisées.
Son action semblerait être noble et humaniste. D’ailleurs, nous ne pouvons qu’encourager toutes les personnes qui adopteraient de tels comportements. Ainsi que de telles démarches philanthropiques, dans nos sociétés actuelles, moins inclusives qu’elles ne le devraient être.
Y aurait-il pour autant une filiation entre Karoui et Mandela ?
Il semblerait que oui aux yeux de certains, au niveau de l’amour des autres, l’empathie, la compassion. Et de l’aide fournie aux oubliés du développement économique et de la mondialisation. Néanmoins, sa démarche pourrait faire appel uniquement à l’émotion alors que pour Madiba la réflexion était de mise.
Les points de vigilance concerneraient éventuellement l’honnêteté et la sincérité de la démarche du candidat Karoui ainsi que la portée de l’émotion sur le long terme. Le désenchantement guetterait la Tunisie.
Pour ce qui est de l’arrestation du candidat. Je m’interdirais même d’essayer de trouver une similitude avec le parcours de Nelson Mandela. Il serait inapproprié, non ?
Il aurait été plus opportun que le député Sofiene Toubel, soutienne son champion sur des ressemblances plus pertinentes. A savoir la philanthropie, l’empathie et l’amour des autres, que sur son arrestation provisoire.
Kaïes Saïed: rien à promettre, rien à vendre
Quant à Kaïs Saïed, il pourrait sembler être dans une démarche de coaching systémique, personnel et collectif. Rien à promettre et rien à vendre. Aucun engagement de résultats. Mais plutôt un engagement de moyens.
Il s’engagerait à faire tout ce qu’il serait dans son pouvoir et dans ses compétences pour rassembler les intelligences. Et faire émerger les idées, de là où elles pourraient se trouver. C’est-à-dire chez les jeunes, dans leurs environnements respectifs. Afin qu’elles soient pragmatiques et répondent aux problématiques locales, arbitrées collectivement. Cela renforcerait le sentiment d’appartenance aux territoires. Mais également à la nation, avec de l’écoute et de la prise en compte des propositions démocratiques locales.
Kaïs Saïed envisagerait, aussi bien, la réussite que l’échec de la démarche. Néanmoins, il appellerait à la responsabilité de toutes et de tous. Et ce, pour se rassembler et converger leurs efforts et compétences. Ainsi que pour co-imaginer et co-construire un model inspiré par chacun et inspirant pour chacun.
Son action semblerait être novatrice, ambitieuse et désintéressée. L’aventure serait aussi bien inclusive qu’engageante pour toutes les composantes de la société tunisienne.
La filiation pourrait sembler de taille avec la démarche de Nelson Mandela, à la fois intellectuelle, politique et thérapeutique. Une démarche qui ferait appel à la réflexion. Néanmoins, qu’en est-il du niveau d’engagement du candidat et des mécanismes à mettre en place. Tout en permettant d’installer cette dynamique positive aboutissante. Mandela était prêt à donner sa vie pour réussir. Il a également réussi à mettre en place la CVM, une commission avec comme leitmotiv le consensus par-dessus des parties.
Les points de vigilance concerneraient éventuellement la maturité, le niveau d’engagement de chacun ainsi que les jeux de pouvoir inter parties, qui empêcheraient le partage et l’instauration d’une telle démarche collective consensuelle.
Une approche dans l’émotion versus une approche dans la réflexion
Pour résumer, deux démarches se challengeraient entre les deux candidats. Une approche dans l’émotion versus une approche dans la réflexion. Il vous est alors proposé un challenge cérébral, entre le reptilien et le cortex.
Enfin, il serait utile de rappeler, au député Sofiene Toubel, que selon Ibn Khaldoun, l’histoire n’est pas seulement le récit des événements passés : « L’histoire a un autre sens. Elle consiste à méditer, à s’efforcer d’accéder à la vérité, à expliquer avec finesse les causes et les origines des faits, à connaître à fond le pourquoi et le comment des événements. »
Faites vos jeux ou pas, mes compatriotes.