Maintenant que les élections législatives ont donné un tableau moins compliqué que celui initialement annoncé, la logique favorise une coalition gouvernementale composée essentiellement d’Ennahdha, son dérivé Al Karama et Attayar.
Bien évidemment ce trio aura besoin du soutien des indépendants et des autres partis qui ont pu décrocher quelques sièges. Le grand inconnu de ce trio est Al Karama qui a créé la surprise. Indispensable à tout projet d’alliance, les orientations économiques de ce parti méritent d’être revues.
Quelques bonnes (et réalisables) idées
Le parti parraine quelques idées dans trois axes. Il y a d’abord l’intention d’exploiter les possibilités offertes par l’économie numérique. Al Karama est pour favorable à l’utilisation du Paypal et des cryptomonnaies afin de booster le e-commerce. Il y a aussi une volonté pour instaurer une gouvernance électronique.
Le deuxième volet porte sur l’économie verte, avec la généralisation des centrales solaires photovoltaïques et des véhicules électriques dans les administrations publiques. Des incitations fiscales seront accordées aux acteurs économiques pour migrer vers les énergies renouvelables. L’accent sera également mis sur l’agriculture biologique.
Le troisième volet concerne l’entrepreneuriat. Les jeunes inventeurs auraient accès à des primes pour couvrir l’autofinancement afin de convertir ces inventions en produits commercialisables.
La relation controversée avec l’Europe
Mais le parti a également des idées qui ne font pas l’unanimité. Nous pensons même que ça serait un sujet chaud avec le leader attendu de la coalition, Ennahdha.
Il y a d’abord le dossier de la relation avec la France. Al Karama pense que la France doit présenter des excuses officielles pour son passé colonial en Tunisie et même nous compenser. Il exige la révision d’une série de contrats jugés comme une continuité de la période coloniale! Il va plus loin encore en matière de relation avec l’Union européenne en revendiquant le libre accès aux pays de l’espace Schengen contre la non-suspension de l’accord de libre-échange.
Cette approche est celle qui inquiète le plus les opérateurs économiques. Il faut être logique et reconnaître que dans l’état actuel des choses, la Tunisie a beaucoup plus besoin des Européens que l’inverse. Sur les huit premiers mois de l’année, l’UE a absorbé 74% de nos exportations pour une valeur de 21,971 milliards de dinars contre des importations de 22,032 milliards de dinars. L’UE ne représente que 0,7% de notre déficit commercial. Elle est donc loin d’être notre problème. Ce sont plutôt avec des pays comme la Chine, que certains veulent transformer en notre premier partenaire, que nos comptes ne sont pas bons.
Trouver de nouveaux marchés n’est pas simple
Il faut bien comprendre que trouver de nouveaux débouchés pour nos produits n’est pas un jeu d’enfant. La majorité des pays sont organisés dans des blocs régionaux avec qui il convient de négocier. Il faut surtout penser qu’en contrepartie, nous devons ouvrir notre marché. Nos exportations ne sont pas, in fine, des produits à très forte valeur ajoutée ou qui n’existent pas ailleurs. Nous devons d’abord consolider nos marchés et développer, en parallèle, d’autres destinations. L’aspect social est important et il faut penser aux conséquences d’un désinvestissement massif des entreprises européennes en Tunisie.
Même l’idée de s’ouvrir sur les pays du Maghreb n’est pas facile à réaliser. Le système de compensation est généreux aussi bien à notre droite qu’à notre gauche, et la levée totale des barrières serait synonyme de la destruction totale de notre industrie. L’ouverture reste une bonne idée, mais il faut qu’elle ne soit pas généralisée à tous les secteurs et surtout, progressive.
Quelles ressources pour recapitaliser les entreprises publiques ?
Al Karama veut aussi recapitaliser les entreprises publiques de transport. Le parti compte accorder l’exclusivité du transport des phosphates à la SNCFT et transformer la Tunisie en une plateforme de transit aérien.
Ce chapitre est très lié à l’idée de développement de nouveaux marchés. Il nous faut donc des correspondances aériennes et maritimes régulières avec tous les pays émergents. Est-ce que Tunisair et la CTN ont les moyens de le faire? Par quel argent va-t-on restructurer ces entreprises qui ont besoin de milliards de dinars pour équilibrer leurs comptes et d’autres milliards pour exécuter de tels plans ambitieux? Ouvrir le capital à des étrangers? Nous ne pensons pas que cela entre dans cette feuille de route. De la taxe sur les géants d’internet qui dégagent des recettes publicitaires en Tunisie ou du fond Zakat? Des pays du Golfe? C’est encore difficile avec l’intention d’ouvrir le dossier des méga-projets dont la majorité remonte à la période pré-révolution.
Le problème d’Al Karama, et de la majorité des partis politiques, est son incapacité à comprendre que ce pays a des ressources financières limitées. Le début de ce quinquennat serait très difficile avec un premier exercice majeur : la Loi de Finances 2019.