Dans le domaine politique, aussi bien que dans toute gestion d’une situation donnée, la maîtrise du temps et la capacité à imposer sa propre temporalité, sont des éléments qui complètent l’exercice du pouvoir réel.
En effet, le choix du timing dans la mise en œuvre d’une décision est déterminant pour garantir une efficience optimum. C’est « l’habileté de choisir un moment précis pour effectuer une action, en raison de son effet optimal ». En somme, c’est l’ingrédient magique. Cette maxime décrit clairement l’importance de l’action à un moment donné : avant c’est trop tôt après c’est trop tard. Entre les deux, il y a une fenêtre de tir parfaitement délimitée dans le temps qu’il ne faut pas rater.
Une bonne action peut toujours être accomplie. Mais elle n’aurait pas le même effet lorsqu’elle serait faite dans la précipitation ou tardivement. Elle pourrait avoir un effet contraire parce qu’elle aurait « dû » être exécutée auparavant.
Déphasage avec les moments opportuns
Nous avons eu ces derniers temps à repérer des exemples qui illustrent des initiatives tardives. En total déphasage avec les moments opportuns pour générer des effets salutaires. Mais aussi pour contribuer à dresser un état des lieux. Et faire face, dans la mesure du possible, à la mauvaise posture dans laquelle se trouve le pays dans la perspective des élections.
Nous savons tous- presque- ce qui s’était tramé pendant la période d’hospitalisation du défunt Béji Caïd Essebsi; et juste après son décès le 25 juillet 2019. C’est à ce moment précis, en août, que les formations politiques dites républicaines auraient dû bouger pour devancer les agissements ourdis par la branche locale des frères musulmans. Et neutraliser toutes les tentatives de dénaturation du processus électoral. Rien n’a été entrepris par cécité politique et passivité suspecte qu’on comprend mal.
Le premier de ces exemples est l’allocution télévisée, le 4 octobre 2019, du président de la République par intérim. M. Ennaceur fit partie des gouvernements Nouira, Mzali puis Caid Essebsi. Il fut à la tête du Conseil économique et social de 1985 à 1991 avant d’occuper le poste de président de l’ARP.
On s’attendait de la part de cette personnalité à la fibre sociale, cet homme discret, qui se montre courtois et n’affiche aucune ambition, à un sursaut d’énergie. Pour entreprendre une initiative qui réunirait les partis politiques et les organisations nationales. Afin de baliser le parcours et s’accorder sur des actes tangibles, dans l’actuelle situation préoccupante. En vue de sauvegarder ce qui peut encore l’être.
Absence de conviction du Président par intérim
Mais, les Tunisiens assistèrent à une réédition de la méthode Coué! De l’autosuggestion, une auto-persuasion futile qui reprend la « positive attitude ». Tout ce qu’il daigna faire ce 4 octobre 2019 c’est de prêcher la bonne parole. En relevant que la conviction n’y était même pas dans sa façon de le dire. Comme si c’était un passage obligé pour un dirigeant trop décalé par rapport au ressenti des Tunisiens. Il est aux commandes depuis la fin juillet 2019.
Même si on peut comprendre ses motivations. Ce n’est pas sur une sortie semblable qu’il était attendu par les Tunisiens pour égrener sa litanie « qu’il est de notre devoir de poursuivre le chemin de la démocratie et de pallier les difficultés auxquelles est confronté le pays […]. L’État et le pouvoir sont en place. […] La Tunisie dispose aujourd’hui d’importantes institutions qui sont capables d’imposer l’application de la loi et de fournir une protection à ses citoyens ».
En effet, l’un des symptômes de l’impuissance consiste à parler par clichés. Ce qui est une forme préliminaire de l’incapacité de parler vrai. Parler par clichés traduit un manque de sens commun, non parce qu’il mentait. Mais parce qu’il s’entourait du plus efficace des mécanismes de défense contre les mots qui portent. Et, partant, contre la réalité en tant que telle.
Certes, il s’était exprimé, mais avec une langue vide de contenu. Guidée par une logique auto-référentielle qui se dresse autant contre le sens commun que contre cette équivoque de sens. Par contre, il a été plus offensif dans la distribution d’une pluie de décorations à gauche et à droite. A ceux qui le méritent et à ceux qui ne le méritent pas. C’est regrettable !
La bonne conscience du quartet
Le deuxième exemple est celui des nouveaux dirigeants du quartet; dont les prédécesseurs avaient mené le dialogue national et obtenu le prix Nobel de la paix en 2015.
L’UGTT, l’UTICA, l’Ordre des avocats et la Ligue des droits de l’Homme ne s’étaient réunis que le 8 octobre 2019. « Pour discuter de la situation générale et politique qui prévaut dans le pays », dixit le quartet.
Au sujet des élections, « il a appelé l’ISIE à trancher dans les nombreuses affaires de fraudes et d’infractions à la loi électorale. Sur un autre plan, le quartet s’est dit inquiet de la présence d’un des « finalistes » des présidentielles en prison. Et a appelé toutes les parties concernées à faire en sorte que le principe d’égalité des chances entre les deux candidats soit respecté ». L’art de fermer le ban! Un programme minimal pour se donner bonne conscience. Et démontrer tout simplement que le quartet bouge encore.
Il est légitime de se demander à présent quelle est cette politique sans mots et sans actes dans le système le plus bavard et le plus remuant qui fût. Que se passe-t-il quand la politique perd la parole et s’enferme dans un mutisme craintif ? Quand elle évite par frilosité de prévenir le danger et de contrer le péril qui menace un État, une société, un pays ?
C’est la résistance civile qui s’impose pour répliquer au spectre d’édification d’un État totalitaire qui absorberait les autres pouvoirs de la société. Un État totalitaire qui détiendrait le monopole du pouvoir politique. Commandant l’obligation de croire (ou de faire semblant), normalisant le contrôle de la pensée des individus, engendrant une sorte de monstre.
Provoquer un éveil vital
Quelque soit le résultat des élections présidentielles, l’alerte doit être lancée pour provoquer un éveil vital. Afin de résister efficacement aux tentatives qui seront entreprises pour la reddition des âmes par : le mensonge officiel; l’endoctrinement; le dressage; la terreur et l’établissement d’un arbitraire absurde qui viderait de tout sens l’existence quotidienne du citoyen tunisien.
Il est plus que temps, pour tous ceux qui ont raté le coche, de se réveiller de leur torpeur, de tirer les leçons de leurs erreurs. Et de se remettre au travail en rassemblant leurs forces, laissant leurs puériles querelles derrière eux et rattrapant le chemin perdu. En seront-ils capables?