Au lendemain d’un processus électoral chaotique mais pacifique, toutes les questions relatives au devenir du pays restent entières, sans la moindre ébauche de perspective !
Un Président « bien élu » (72% des suffrages) mais aux prérogatives limitées. Une Assemblée nationale « mal élue », de laquelle ne se dégage aucune majorité cohérente et susceptible de mener à bien un programme légitimé par les électeurs. Nous sommes encore loin des attendus d’une démocratie mature comme de ses implications immédiates et légitimées : « une majorité qui gouverne le pays et une minorité qui s’oppose ».
UN paysage politique confus!
Si l’art de la politique c’est prévoir…bien malin celui qui pourrait dire dans quelle direction le pays pourrait s’engager ! Le nouveau paysage politique reste confus, flottant et fluctuant, au gré des annonces des uns et des autres.
La nomination et la constitution du nouveau gouvernement revient à la formation politique ayant recueillie le plus de voix. Soit ! Mais à ceci près que le dit parti « vainqueur » a vu sa base électorale fondre comme neige au soleil. Une érosion de son « bon droit » qui va le conduire ostensiblement et inévitablement à rechercher des alliances plus proches de la logique d’une « confédération d’intérêts disparates » que de celle d’un « bloc homogène cointéressé ». Reste bien évidemment à en trouver les contours et les formes !
Le parti islamiste qui n’a plus rien de dominant se sait piéger ! Il lui faut trouver la combinaison qui puisse neutraliser a priori toutes les oppositions possibles, lui permettant de se maintenir au pouvoir !
Une quadrature du cercle difficile mais sans être impossible à résoudre. Ce parti va donc choisir d’édulcorer et d’affadir ses prétentions théologiques en investissant dans la dimension technique de toute gouvernabilité. Un gouvernement de technocrates, un gouvernement de compétences nationales ! …Voilà un substitut commode au gouvernement d’union nationale ! Car d’évidence le parti islamiste sait que cette formulation rencontre l’assentiment d’une large fraction de l’opinion. Quoi de mieux que la prétendue neutralité idéologique supposée incarnée l’impartialité et la droiture !
Le parti islamiste connait la répulsion quasi épidermique d’une frange irréductible de la population attachée à une certaine modernité des mœurs et des styles de vie, et viscéralement opposée aux tentatives d’islamisation rampante jugées anachroniques. La formation islamiste sait devoir composer avec des pouvoirs économiques, médiatiques, académiques encore hostiles à sa vision de la société.
Quel gouvernement ?
Un gouvernement pragmatique de compétences nationales constitue à l’évidence la formule la plus conforme aux attentes d’une opinion courroucée et méfiante suite aux différentes participations de ce parti aux 8 gouvernements qui se sont succédé, mais aussi la plus adéquate à ses propres « arrière-pensées » à caractère stratégique. Le parti islamiste a corrigé et adapté son approche. Il a désormais deux fers au feu: la posture démocratique et l’entrisme dans les appareils d’Etat !
Le parti islamique est donc ouvert à toutes sortes de compromis et donc de facto à toutes sortes de concessions avec toute formation politique disposée à collaborer ou à cohabiter avec elle.
Un gouvernement de technocrates aurait de surcroit un autre avantage considérable. Celui de ne pas remettre en cause l’ancrage libéral de toute politique économique qui serait mise en œuvre quel que soit la composition de l’attelage ministériel. Une façon de concevoir le rapport de l’économique au social présenté comme neutre et pragmatique, que ce parti a en partage avec l’essentiel des forces politiques du pays.
Il suffit pour s’en convaincre de comparer ses propositions programmatiques et les prises de position de son groupe parlementaire, à celles d’autres partis dits « modernistes », pour se convaincre que leurs différences n’excèdent pas l’épaisseur d’une feuille de papier. Islamo-libéralisme et libéralisme social sont donc compatibles du moins sur le plan des grandes orientations générales qu’il conviendrait de fixer à la politique économique.
Une large coalition est donc possible, -du moins sur le papier-, à l’exception, peut-être, de quelques formations nationalistes sans poids réel. Toutefois, les véritables difficultés se trouvent ailleurs.
Double série d’exigences
Comment aborder et traiter la crise dans laquelle s’enfonce le pays ? Un marasme polymorphe qui n’épargne, -certes à des degrés divers-, aucune strate du corps social ! Une spirale récessive qui entraine par contamination toutes les branches d’activité et singulièrement celles liées à l’Etat. Partout des déficits, qu’ils soient d’ordre conjoncturel, ou plus structurel résultant d’actions passées.
Ce n’est pas tout ! Et à cet ordre de considérations économiques et sociales, il convient d’ajouter celles plus directement liées aux tribulations de la sphère politique et à l’exercice même de l’autorité et du pouvoir. Le parti islamiste, peut-il compter sur une équipe gouvernementale soudée et stable dans le temps et de surcroit soutenue avec constance et détermination par un cartel de formations inaltérable et persévérant ? Rien n’est moins sûr !
Au simple énoncé de cette double série d’exigences intimement liées, on peut raisonnablement présumer qu’il y a peu de chances qu’un tel scénario se produise. Tout au plus peut-on envisager une période relativement courte durant laquelle l’équipe gouvernementale se contenterait de gérer « as usual » dans une logique de fuite en avant, reléguant à plus tard la mise en œuvre de solutions plus radicales (les trop fameuses réformes structurelles) mais à fort potentiel de controverses et à puissant pouvoir déstabilisant. Certains vont même jusqu’à prédire de nouvelles élections législatives !
Nouveau contrat social?
Quoi qu’il en soit les faits étant têtus, le pays est bel et bien dans une impasse sociale et économique.
Resterait malgré tout à appréhender le rôle nouveau et possible d’un chef d’Etat bénéficiant d’une large légitimité ! Sera-t-il enclin à interférer dans les prérogatives proprement gouvernementales avec l’appui d’une majorité informelle de parlementaires s’affranchissant des consignes partisanes ?
Sollicitera-t-il l’opinion publique et faire appel à sa base électorale dans le but de soumettre une autre approche de résolution des tensions sociales et des contradictions d’un système économique agonisant.
C’est d’imagination dont a le plus besoin toute la sphère politique ! Car il n’y a pas, a contrario, d’une pensée unique largement répandue, de « solutions sur étagère, prêtes-à-l’emploi » !
La réduction des déficits, la reprise de l’investissement productif, le redéploiement de l’administration, ne peuvent être résolus par des artifices techniques et juridiques, toujours biaisés, toujours inéquitables, n’en déplaisent aux zélateurs d’un « gouvernement de technocrates », mais bien plus surement par l’élaboration d’un nouveau contrat social augurant de nouvelles perspectives de « mieux être », dont bien évidemment les contours devraient être définis collectivement puis validés politiquement. Une direction dont pourrait s’emparer le Président !
Il y a loin de la coupe aux lèvres dit le dicton… et comme le penseront les plus cyniques !
C’est pourtant et manifestement dans cette voie qu’il conviendrait de s’engager