Les scandales et accusations de harcèlement et d’agressions sexuelles font l’actualité politique et judiciaire internationale. Le fléau ne concerne pas que les élites politiques, économiques ou médiatiques. Le mal est répandu dans toutes les strates des sociétés concernées. D’où l’émergence d’un néo-féminisme.
En effet, on assiste aujourd’hui à un néo-féminisme, une « réaction globalisée ». Et la Tunisie n’échappe pas à la mobilisation mondiale contre la violence et le harcèlement sexuels. C’est une nouvelle preuve de la vitalité d’une société civile qui est déjà à l’origine de la révolution de 2011. Le hashtag #EnaZeda a pris le relais de #MeToo. Et ce, pour mieux libérer la parole féminine et poser (enfin) sur la place publique un fléau qui n’est pas propre à la Tunisie; mais qui la frappe bel et bien.
Ainsi, c’est un fait que le « statut personnel » de la Tunisienne demeure sans équivalent dans le monde arabe. Avec l’interdiction de la polygamie et de la répudiation, puis une dynamique favorable à l’égalité juridique au gré de révisions successives. Mais, dans la réalité quotidienne, la femme tunisienne demeure confrontée à une situation d’inégalité et de discrimination systémique.
Immense cri de contestation
A cet égard, la parole des femmes est devenue publique. Prenant la forme d’un immense cri de contestation et d’exaspération contre les insultes, les agressions, les réflexes archaïques. Ce type de mobilisation atteste de l’affirmation de nouvelles générations de féministes tunisiennes. Celles-ci savent notamment user au mieux des réseaux sociaux et d’Internet pour mener leur combat. Or ces derniers sont devenus des vecteurs de prise de conscience de l’opinion publique.
D’ailleurs, le militantisme sur Internet se prête particulièrement bien à l’activisme retentissant et aux nouvelles formes de mobilisation citoyenne. Ainsi, avant #EnaZeda, l’utilisation des hashtags #BalanceTonPorc (en France) et #MeToo– dans le monde anglo-saxon– avait réussi à briser les silences et tabous existants également dans les sociétés occidentales sur le phénomène de harcèlement et d’agressions sexuelles.
En outre, le néo-féminisme présente l’intérêt d’atteindre toutes les classes sociales, y compris les plus défavorisées. Les réseaux sociaux et le web, de plus en plus accessibles à tous, rendent appropriables par le plus grand nombre les combats sociétaux. Une réalité qui s’est manifestée avec force durant le soulèvement de 2010-2011.
Evolution du féminisme arabe
Pourtant, un féminisme arabe existe depuis la fin du XIXe siècle (Qasim Amin, Huda Shaarawi ou encore Fatima Mernissi l’ont démontré). La naissance des États arabes post-coloniaux s’est accompagnée de mouvements d’émancipation– relative mais réelle– de la femme. Et ce, dans la Tunisie bourguibiste, mais aussi en Algérie, en Libye, en Egypte et dans l’ensemble des pays du Levant). De fait, loin d’exclure les femmes (y compris voilées), les mouvements populaires qui traversent le monde arabe depuis 2011 se caractérisent par leur mixité.
Car, écartées des insurrections armées (Syrie, Libye), un nombre significatif de femmes a pris une part active dans l’histoire de leur pays. La femme arabe s’est départie des pesanteurs internes et autre regard orientaliste qui la cantonne trop souvent dans un objet de type sensuel et passif. Certaines d’entre-elles sont mêmes devenues des figures emblématiques du « printemps arabe ». Ainsi, Tawakkul Karman, en première ligne dans la contestation contre le Président yéménite Ali Abdallah Saleh, est la première femme arabe à recevoir le Prix Nobel de la Paix. Des actes de rejet (au Yémen) et de violence (série d’agressions sexuelles sur la Place Tahrir) par des forces conservatrices ou contre-révolutionnaires ont marqué ce moment d’émancipation. Le rôle et le statut de la femme dans les sociétés arabes post-révolutionnaires constituent des enjeux en soi. Ces derniers sont liés en particulier à l’attitude des islamistes.
Situation contrastée
Aujourd’hui, la situation globale est contrastée. D’un côté, les femmes ont vu leur condition s’améliorer sensiblement. Puisqu’elles sont en meilleure santé. Elles sont nettement plus instruites et elles sont même désormais plus nombreuses que les hommes à faire des études supérieures.
De l’autre, un ensemble de facteurs économiques, juridiques et culturels continuent de faire obstacle à l’accès des femmes à certains segments de l’espace public et à nombre de secteurs du marché du travail.
Si la difficulté à conjuguer carrière professionnelle et vie de famille est loin d’être propre aux femmes arabes, seule une sur quatre a un emploi ou est en recherche d’emploi. Soit la moitié du taux observé à l’échelle mondiale.
L’amélioration de la condition de la femme, en général, et la lutte contre le harcèlement, en particulier, supposent certes un travail sur les représentations sociales et symboliques. Elles supposent aussi une politique publique (préventive et répressive) volontariste. Cette politique ne se résume pas à l’affichage communicationnel qui risque de raviver de mauvais souvenirs…