En vérité, le budget de l’Etat 2020, comme ceux qui l’ont précédé et le projet de Loi de finances qui l’accompagne se limitent à deux colonnes comptables : emplois plus subis que voulus –ressources sans la moindre innovation ni d’un côté ni de l’autre. Une construction de façade sans ligne directrice, sans de véritables leviers de croissance. Sans vision lointaine, un budget pour ainsi dire hors-sol.
Côté utilisation des deniers publics, il y a peu à dire, le plus gros de la cagnotte 20 MD des 47 MD que compte le budget servent à rémunérer les salariés de l’Etat : plus de 40% du budget. Un triste record mondial d’autant plus inacceptable que les prestations publiques n’ont jamais été aussi défaillantes. Et ce qui ne va pas directement aux salaires transite par le canal – qui déborde de partout – des dépenses allouées à la CGC (4,2MD).
Le service de la dette, qui explose, engloutit le reste ou presque. Il franchit la barre des 11,6 MD. Les dépenses d’équipements, c’est-à-dire les investissements d’avenir nets des subventions aux entreprises publiques qui ont désormais vocation à produire des déficits, sont pour ainsi dire rangées au placard des oubliettes.
Triste situation : ce qui devrait être le corps principal et l’épine dorsale du budget sont relégués au rang de simple variable d’ajustement.
Contre-productive
Côté recettes, on ne déroge pas à la règle. On prend les mêmes et on met plus de pression fiscale en les pressurisant davantage. Rien d’étonnant que notre fiscalité soit pointée du doigt et dénoncée tant elle est perçue comme confiscatoire et punitive par celles et ceux qui la subissent. Et au final contre-productive. Elle ménage les grosses fortunes et craint les plus pauvres. Feu donc sur la classe moyenne, ces nouveaux pauvres qui se retrouvent au fil des ans entraînés vers le bas à la lisière des classes les plus démunies.
Pour autant, cela ne saurait suffire. Tant s’en faut. Il en faut beaucoup plus pour couvrir le déficit budgétaire, ce qui revient à dire le train de vie de l’Etat que rien ne semble ralentir.
Du coup, selon une habitude désormais établie, plutôt que de faire appel à l’intelligence de la population, à l’effort, à la retenue, à son sens de l’épargne et d’un sacrifice qui soit partagé, on se tourne de nouveau vers les bailleurs de fonds internationaux, notamment. L’ennui est qu’à force d’emprunter, sans croissance économique en retour, nous avons largement abîmé notre signature et notre crédibilité. Et édifié un énorme mur de la dette.
Les institutions financières multilatérales rechignent à nous prêter et le marché financier se montre de plus en plus réticent. Difficile désormais de lever des capitaux à des taux qui ne soient pas d’enfer et à courte maturité.
C’est le prix du risque et du déficit de confiance. Le marché financier, comme tous les bailleurs de fonds internationaux ne se font pas d’illusion sur notre capacité de remboursement. Il faut remonter en amont pour casser cette spirale infernale de la dette qui compromet déjà le présent et hypothèque gravement l’avenir des jeunes et des moins jeunes.
Il faut s’attaquer aux déficits jumeaux. Le déséquilibre commercial est à cet égard tout aussi sinon plus grave que le déficit budgétaire. Et en attendant de retrouver une cadence normale de nos exportations de produits manufacturés en net repli, on se doit de rationaliser nos importations. Il y a trop de superflu, et de relâchement aux antipodes du patriotisme économique, pour ne pas nous indigner de cette débauche d’importation.
Elle n’apporte aucune valeur ajoutée au pays si ce n’est qu’elle l’enfonce dans les abîmes de la dette et de la dépréciation de la monnaie nationale. Il faut arrêter l’hémorragie et sortir au plus vite de ce cercle vicieux : déficit – endettement- hausse des impôts et au final chute de l’investissement inhibé déjà par le loyer exorbitant de l’argent, et la stagflation.
Qu’en pense le chef du gouvernement désigné tenu à l’écart des discussions budgétaires et occupé à travers rencontres et concertations à peaufiner un programme commun de gouvernement ? De quelle action gouvernementale et de quelle politique publique peut-il s’agir quand il faut dans l’immédiat colmater toutes les voies d’eau qui menacent d’effondrement tout l’édifice ?
Seul impératif dans l’immédiat, assainir tous azimuts : assainir les finances de l’Etat, les comptes des entreprises publiques dont le naufrage financier fera couler tout le pays.
Conclure une trêve sociale et se réconcilier avec le FMI
Le prochain gouvernement n’a rien de mieux à faire que d’engager dès sa prise de fonctions- si cela doit se faire- un vrai débat, franc, sincère et courageux avec les partenaires sociaux, conclure une trêve sociale, une sorte de paix des braves et un pacte de croissance.
La centrale ouvrière a un long passé de lutte nationale. Elle ne dérogera pas à son devoir dès lors qu’elle est convaincue de la sincérité et de la crédibilité de l’autorité publique et de sa volonté de n’exonérer personne de l’effort de redressement national.
Le prochain gouvernement doit se réconcilier avec le FMI qui boude le pays et se refuse pour l’heure d’honorer ses engagements – verser les tranches restantes- au motif que le pays n’a pas honoré les siens sur lesquels il s’est de lui-même engagé en laissant filer la masse salariale de la fonction publique et les dépenses de compensation.
On doit pouvoir retrouver les chemins de la raison et d’une plus grande rationalité économique pour sortir de l’emprise de l’incertitude et améliorer la visibilité des entreprises.
Assainir encore et toujours pour se donner plus d’air, mieux respirer et s’inspirer. Pour terrasser l’hydre de l’inflation. Le coût de la vie – point d’achoppement jusque-là du dialogue social – grimpe avec l’inflation qui court plus vite que les salaires. Celle-ci est loin d’être exclusivement d’ordre monétaire. Elle est l’expression du déficit et de la dépréciation de l’autorité de l’Etat qui ne tient plus son rôle. Il est rarement là où il devrait être.
Les prix dérapent, contre toute logique, quand l’autorité de l’Etat cesse de s’exercer. Le marché est à son plus haut niveau d’efficacité quand il est régulé et placé sous haute surveillance par l’Etat. Le « laisser-faire, laisser-aller » est synonyme de démission de l’Etat avec pour seule issue le désordre et le chaos social.
Le prochain gouvernement a cinq ans pour entreprendre les réformes qui s’imposent et l’incontournable programme d’ajustement structurel, pour libérer les énergies, les investissements et la croissance.
En attendant et dans l’immédiat, il faut engager un vaste plan d’assainissement et de consolidation. Le constat, peu reluisant, vaut programme. Ce qu’il importe de faire, c’est de redonner espoir aux Tunisiens et de restaurer la confiance des investisseurs locaux et étrangers.
L’urgence frappe à nos portes, elle a pour nom : Etat de droit, finances publiques, masse salariale ou plutôt sureffectif, subventions à la consommation, inflation, endettement, taux d’intérêt, impôts à tout-va, exode des compétences… On a beau chercher dans le budget de la Loi de Finances 2020 des réponses et des voies d’issue à ces épineuses questions qu’on n’en trouve guère.