Que n’a-t-on vu ces huit dernières années ? Que n’ont-ils fait de ce pays relégué désormais en bas de l’échelle des pré-émergents alors qu’il évoluait, non sans quelques secousses, dans le peloton de tête.
Les architectes de la deuxième République, ces nouveaux croisés de la politique, ne doivent pas avoir bonne conscience sur cet aspect tout au moins. Image inédite, insolite voire surréaliste que celle que nous renvoient simultanément Dar Edhiafa à Carthage et le palais du Bardo.
Temps I
Habib Jemli désigné par Ennahdha, vainqueur des législatives, entame comme il se doit les concertations d’usage pour former sa nouvelle équipe gouvernementale au milieu des exigences et des surenchères des formations politiques qui ne doivent leur statut d’interlocuteur qu’au laxisme et à l’incohérence du mode de scrutin électoral.
Exercice délicat, difficile, d’équilibriste où se mêlent ego déplacés, rancune, rancoeur et jusqu’au rejet. Où l’on découvre un pays de nouveau en proie à ses propres démons, loin d’être apaisé. Les lignes de fracture idéologique, politique, régionale voire tribale qu’on imaginait résorbées, refont surface et fragilisent, si elles ne mettent pas en péril, la transition démocratique.
Première lueur d’espoir : la désignation de Habib Jemli, pourtant peu connu et peu familier des arcanes du pouvoir, pour former son prochain gouvernement lui a valu, passé l’effet de surprise, l’unanimité ou presque chez les principales formations politiques, les partenaires sociaux et les corps constitués. Il se retrouve du coup en situation de ballottage favorable disposant de réelles marges de manœuvre. Au plan de la forme et de la démarche, il y a peu à dire. Il a ratissé assez large, fait preuve d’une réelle capacité d’écoute et de réelles velléités d’autonomie.
Parviendra-t-il pour autant à former rapidement un gouvernement que les uns voudraient voir teinté de coloration politique, les autres à consonance et à dominante technocratique et que lui-même place sous le signe de la compétence ?
Le moindre retard lui serait préjudiciable au regard de la déliquescence de l’économie. Habib Jemli a remporté la première manche, celle des consultations. Le style est assez séduisant, mais le plus dur reste à faire. Quand viendrait le moment de procéder aux nécessaires arbitrages, aux choix des profils et des personnes, à la désignation aux fonctions ministérielles non sans lien, quoi qu’on ait pu dire, avec les rapports de force en présence. A cette précision près que les politiques n’ont plus le monopole du pouvoir.
La révolution démocratique est passée par là. Rien ne se fera, en tout cas avec une quelconque chance de succès, sans l’aval de la société civile et plus encore des acteurs économiques et sociaux, UTICA et UGTT en tête.
Temps II
Et simultanément : à l’instant même où Habib Jemli s’évertue à jauger et à convaincre ses interlocuteurs de ses intentions et de sa volonté de former un gouvernement de salut national – le mot n’est pas très fort en raison notamment de la gravité de la crise de la dette.
A ce moment précis, – impératif constitutionnel oblige – démarrent au sein de l’ARP – les discussions sur le projet de Loi de Finances 2020. Avec en prime, une Loi de Finances complémentaire devenue désormais la règle à force d’improvisations, de prévisions et d’anticipations erronées.
Un hasard du calendrier lourd de conséquences. Les discussions budgétaires se déroulent en l’absence du principal intéressé, le prochain locataire de la Kasbah, qui doit en assumer la charge. On imagine que cela n’atténue en rien ce climat délétère dont souffre le pays.
Un groupe de parlementaires a été formé à cet effet avant même que ne se constituent les commissions. Il n’aura selon toute vraisemblance, alors qu’il s’agit d’un exercice des plus exigeants, ni le temps, ni les moyens, ni l’autorité morale pour extirper ce projet de ses scories, de ses excès, ni de quoi combler ses lacunes et ses insuffisances.
Non que le gouvernement sortant ait manqué de rigueur ou se soit dérobé à ses obligations en présentant cette architecture budgétaire : il n’a fait que reproduire à sa manière et selon sa propre logique- qui prête à discussion – un schéma désuet et un mode de prélèvement rédhibitoire, d’intervention et de régulation a minima qui furent durement sanctionnés lors des dernières élections.