Depuis son élection le 23 octobre dernier, et malgré l’état gravissime sur tous les plans dans lequel se trouve le pays, le président de la République n’a pas pris la moindre décision ni entrepris la moindre action de nature à nous rassurer.
Le président de la République ne donne pas l’impression qu’il a pleinement conscience de l’énormité des problèmes à résoudre ni de leur caractère urgentissime.
Depuis qu’il a pris ses fonctions, M. Kais Saied a accueilli au Palais de Carthage une pléthore de visiteurs. Nul ne peut contester son droit de recevoir qui il veut. Il n’est pas question ici de commenter ou de mesurer le degré de conformité de certaines audiences accordées par le président avec ses prérogatives constitutionnelles.
Cependant, l’une de ces audiences pose réellement problème. Non pas l’audience en elle-même, mais son contenu. En effet, quoi de plus naturel que le président reçoive un journaliste palestinien, surtout quand il s’appelle Abdelbari Atwan ? Mais là où le bât blesse c’est que notre président a étrangement éprouvé le besoin d’informer son visiteur palestinien des raisons et des motivations qui l’ont poussé à démettre de ses fonctions le ministre des Affaires étrangères M. Khemaies Jhinaoui.
Pourquoi le président a démis khemais jhinaoui ,
« Le président Kais Saied m’a dit qu’il n’a pas pu supporter trois jours ce ministre. Il l’a démis de ses fonctions parce qu’il est le fer de lance de la normalisation avec Israël. Ce ministre était ambassadeur à Tel-Aviv et il a fait beaucoup pour la normalisation avec l’ennemi sioniste. Le président Kais Saied considère la normalisation avec l’ennemi sioniste comme un crime et il l’a donc viré. »
C’est Abdelbari Atwan qui a dit cela dans une vidéo d’une dizaine de minutes postée sur sa page facebook. Après avoir encensé le président tunisien « qui n’a pas d’équivalent dans aucun autre pays arabe et islamique », le journaliste palestinien dévoile le contenu de l’entretien qu’il a eu au Palais de Carthage.
Un Etat qui se respecte doit garder ses secrets
Confier des secrets d’Etat au premier venu ne fait honneur ni au président ni au pays. Car les raisons qui poussent un président de la république à se séparer de son ministre des Affaires étrangères relèvent en fait du secret d’Etat qu’un Etat qui se respecte doit garder secret.
On reste pantois face à de telles légèretés qui sont d’autant plus dommageables qu’elles proviennent du sommet de l’Etat. Il est vrai que M. Kais Saied n’a aucune expérience politique aussi minime soit-elle. Pourtant, même sans expérience, le costume pourrait lui aller très bien s’il savait s’entourer des bons conseillers. S’il savait aussi et surtout les écouter et tout préparer avec eux. Y compris les activités les plus anodines telles que les visites de courtoisie effectuées par des journalistes étrangers…
De quoi accuse-t-on au juste Khemais Jhinaoui ?
Mais si le président n’a pas pu garder les secrets de l’Etat, pourquoi en vouloir à Abdelbari Atwan de les avoir crié sur les toits avec vantardise ? Avec vantardise, car il a bien raison de fanfaronner et de se croire plus important qu’il ne l’est du moment que le président « qui n’a pas son équivalent dans le monde arabo-islamique » a partagé des secrets d’Etat avec lui.
Cela dit, outre le fait que ce journaliste a dévoilé le contenu de son entretien avec le président de la République Kais Saied, il s’est permis de s’attaquer avec virulence à l’ancien ministre des Affaires étrangères. Un grand commis de l’Etat parfaitement compétent, respectable, estimable, digne et honnête.
Le moins qu’on puisse dire est que M. Atwan a été d’une grande impolitesse envers M. Khemaies Jhinaoui. Le moins qu’on puisse dire aussi est qu’il y a beaucoup de malhonnêteté quand on accuse notre ancien ministre des Affaires étrangères « d’être le fer de lance de la normalisation » et, pour avoir été « ambassadeur » à Tel-Aviv, « il a beaucoup aidé Israël ».
Un rappel historique
Mettons les choses dans leur contexte. M. Abdelbari Atwan ne peut ignorer que le processus de normalisation avec Israël remonte aux Accords d’Oslo signés à Washington le 13 septembre 1993 par Yitzhak Rabin, Premier ministre israélien, et Yasser Arafat, Président du comité exécutif de l’OLP, en présence de Bill Clinton, Président des États-Unis. Le document prévoyait une autonomie palestinienne temporaire de cinq ans. Après la signature de ce document, le monde assista à la fameuse poignée de mains entre Yasser Arafat et Yitzhak Rabin.
Le processus de normalisation israélo-palestinienne est complété le 4 mai 1994 par les Accords Jéricho-Gaza. Ces accord investissaient l’Autorité palestinienne de « pouvoirs limités ». Deux ans plus tard, en 1996, Arafat et ses collaborateurs s’installaient à Jéricho où ils avaient établi le siège de l’Autorité palestinienne.
Quel rôle a joué réellement Khemais Jhinaoui ?
C’est donc en accord avec l’Autorité palestinienne de Jéricho et avec la bénédiction de Yasser Arafat que la Tunisie, à l’instar de bien d’autres pays arabes et musulmans, a établi en 1997 deux « bureaux de liaison », l’un auprès de l’Autorité palestinienne, l’autre auprès d’Israël. Il se trouve que M. Khemaies Jhinaoui fut choisi pour diriger « le bureau de liaison » de Tel-Aviv.
Tout d’abord, en tant que diplomate discipliné, M. Jhinaoui n’avait pas à refuser ni à discuter les ordres de sa hiérarchie. Et puis pourquoi, dans le contexte de l’époque, refuser de s’engager dans un processus de paix avec Israël enclenché par les Accords d’Oslo et par la fameuse poignée de mains d’Yitzhak Rabin et de Yasser Arafat ?
Si le processus d’Oslo a échoué, c’est parce qu’Israël a une conception de leur interprétation. Celle-ci se résume en peu de mots : le beurre et l’argent du beurre. Cette tentative de normalisation a échoué et la Tunisie a fermé son bureau de liaison à Tel-Aviv.
Ce rappel historique est destiné à rafraichir la mémoire de M. Abdelbari Atwan et de tous ceux qui ne cessent de mâcher et de remâcher la rengaine de la normalisation en relation avec la diplomatie tunisienne. Non, M. Jhinaoui n’est pas le fer de lance de la normalisation et la diplomatie tunisienne n’a jamais enclenché de processus de rapprochement avec Israël.
A cheval sur les principes
En journaliste chevronné et expérimenté, M. Abdelbari Atwan sait parfaitement où se trouvent les véritables fers de lance de la normalisation. Contrairement à d’autres pays arabes, la Tunisie n’a pas déroulé le tapis rouge à Benyamin Netanyahu et à sa femme. Aucun officiel israélien n’a foulé son sol.
Cela dit, on peut légitimement se demander sur l’apport concret de M. Abdelbari Atwan à la cause palestinienne. Sans doute a-t-il écrit une multitude d’articles dénonçant les crimes d’Israël contre son peuple. Mais il le fait très loin du danger et la souffrance. Il le fait depuis son refuge londonien, douillet et confortable. Il n’est pas le seul, hélas, à faire de la cause palestinienne un fonds de commerce avec les avantages sonnants et trébuchants que l’on sait.
Notons enfin que M. Abdelbari Atwan est un peu trop à cheval sur les principes. Il n’y a pas beaucoup de journalistes qui, par exemple, défendent bec et ongles Bachar al Assad et, dans le même temps, couvrent d’éloges l’un de ses pires ennemis, Rached Ghannouchi en l’occurrence.
Dans sa vidéo, le journaliste palestinien nous informe qu’il a diné chez Rached Ghannouchi, son « ami de 20 ans ». Il a promis qu’il nous parlera de ce diner dans sa prochaine vidéo. Peut-être aurions-nous droits à la révélation d’un autre secret qui fera l’objet d’une autre chronique.
Excellent Si Hmida et merci.
L’on pourrait compléter en signalant que la Tunisie, si elle se fait un devoir de soutenir nos frères palestiniens dans leur lutte pour disposer d’un Etat officiellement reconnu internationalement, ne peut être plus orthodoxe dans sa démarche par rapport à celles pratiquées par la Jordnaie et l’Egypte, qui entretienent des relations diplomatiques avec Israel, que des pourpalers et des échanges ne sont plus cachés entre ce pays et l’Arabie Saoudite, les Emirats et le Qatar.