Nous avons tous en tête des noms de ce qui semble être des grands Hommes. Les peuples se sont appuyés sur les idées des grands personnages de leur société pour donner à leur pays l’image qu’ils ont de nos jours. En Tunisie, le nom d’Habib Bourguiba fait figure de référence.
De par le monde les Nations se sont construites autour des grandes personnalités qui servent de repères aux futures générations. Même s’ils font plus ou moins l’unanimité. Nous pouvons citer entre autres Charles De Gaulle, Georges Washington, Abraham Lincoln, Mahatma Gandhi, Winston Churchill, Nelson Mandela etc., et Bourguiba.
Ainsi, ils n’étaient pas des anges ni des saints. Personne parmi eux n’est omniscient. Et personne ne peut savoir si au final tous leurs actes sont totalement bons ou partiellement mauvais. D’ailleurs, ils avaient leurs défauts et leurs faux-pas comme tout être humain.
Et tout grand homme, bien qu’ayant cultivé une grande force morale, connaît aussi des revers. Mais, ce qui les distingue c’est une renommée prestigieuse. Acquise pour avoir accompli des actes courageux et mené des combats au service de leur pays ou de l’humanité.
En fait, c’est aux historiens, qui possèdent des compétences scientifiques reconnues, de proposer les actes établis concernant ces personnages. Et d’aider à faire comprendre le passé et non de l’interpréter. En sachant que les interprétations sont subjectives. C’est à eux d’émettre des critiques en prenant de la distance avec les sources. Afin de rester les plus impartiaux possible dans leur approche.
Car, la critique doit passer par un travail d’analyse très précis. Une déconstruction minutieuse pour ne pas tomber dans le manichéisme. Ou être sujet à des tentatives de récupération politicienne, dans un sens ou dans l’autre.
Pour Hegel, l’individu historique est celui qui, le premier, a pris conscience que les institutions d’un cycle historique, qui semblent solides, sont en fait rongées de l’intérieur, et prêtes à s’effondrer. Et qui leur donne le coup de grâce et impose une forme à la nouvelle ère. Celle dont il a pressenti les contours et les besoins.
A cet égard, c’est celui qui prend conscience, le premier, de la proximité d’un changement d’époque. Et qui est prêt à payer de sa liberté, voire de sa vie, cette conviction. Hegel était parvenu à concilier la liberté créatrice du héros avec la nécessité historique. Il écrivait: « Les individus historiques, sont ceux qui ont voulu et accompli non pas une chose imaginée et présumée; mais une chose juste et nécessaire. Et qu’ils l’ont comprise parce qu’ils ont reçu intérieurement la révélation de ce qui est nécessaire et appartient réellement aux possibilités du temps. » (La raison dans l’histoire, Seuil, p. 121).
De Hannibal à Bourguiba
Pourtant, en survolant l’histoire de la Tunisie, il semble qu’on n’apprécie pas ceux qui s’élèvent au-dessus de la moyenne. Les grandes personnalités que ce pays a engendrées sont soit, peintes en noir, vilipendées, dénigrées soit simplement laissées aux oubliettes. En commençant par le grand Hannibal.
En effet, après la signature du traité de paix avec Rome en 201 av. J.-C., Hannibal, alors âgé de 46 ans, pris part aux luttes politiques. Il devint le chef du parti démocratique et essaya de changer la constitution oligarchique de Carthage. Hannibal fut élu suffète, mais ses adversaires complotèrent contre lui en faveur de Rome, qui exigea son élimination (195).
De ce fait, il quitta précipitamment Carthage et tenta de reprendre la lutte sur un autre terrain, chez le roi séleucide de Syrie Antiochos III. Hannibal assista impuissant à la victoire de Rome en Asie Mineure. Ce qui l’obligea à trouver un autre refuge (188). Il demanda asile au roi de Bithynie Prusias. Mais ce dernier, sous la pression, accepta de le livrer aux envoyés de Rome venus le réclamer. Alors, Hannibal n’eut d’autre issue que le suicide (183), à Libyssa. C’est une ville du nord-ouest de la Turquie, sur la rive nord de la mer de Marmara.
Bien d’autres exemples similaires jalonnent l’histoire de notre pays. La période qui débute avec l’indépendance est marquée par ces cabales ourdies pour déchoir des personnages qui sortaient du lot. On peut citer Ahmed Tlili, Ahmed Ben Salah, Mohamed Mzali… Tous calomniés, évincés et (ou) trainés dans la boue par l’entourage du président Bourguiba. Ne disait-on pas qu’il avait la réputation d’un « mangeur d’hommes » ?
Effectivement, il convient de reconnaître que le parcours de Bourguiba n’a pas fait que des heureux. Il y a de toute évidence beaucoup d’aspects déplaisants chez lui. Mais, il n’empêche que Bourguiba est un personnage historique hors du commun. Il incarna la résistance contre le colonialisme et édifia un État moderne avec ses camarades de combat. Sa stature domine si fortement la mémoire collective que nul aujourd’hui ne doit attenter à son image.
En effet, la figure de Bourguiba dépasse bien celle d’un simple chef d’État. Ces vues paraissent aujourd’hui prophétiques sur de nombreux sujets. Il continue de hanter les Tunisiens pour toutes sortes de raisons – les meilleures comme les pires. Son œuvre achevée, il demeure une figure plus solennelle que controversée. Il s’agit d’honorer sa place et son importance dans notre histoire. Tout en essayant de corriger les erreurs qu’il a commises.
Ignares bourguibophobes!
Compte tenu de toutes ces considérations, on ne peut qu’être consterné et scandalisé par certains agissements irresponsables constatés récemment. Il était de tradition qu’à la sortie d’un entretien avec le chef de l’État, la personnalité étrangère ou tunisienne hôte fasse une déclaration à un endroit précis du Palais de Carthage. Un lieu où la prise de plan se faisait devant le portrait de Bourguiba (avec la barbe à son retour en 1936 de Borj le Bœuf où il était assigné par les autorités coloniales) et le buste d’Hannibal.
Image fort symbolique que doit présenter une nation digne de ce nom. Une histoire établissant la continuité avec les grands précurseurs, des héros parangons des vertus nationales.
« Il fallait toute l’irrévérence d’ignares bourguibophobes pour déplacer le lieu des déclarations officielles à l’issue des rencontres avec les hôtes, choisissant… une porte fermée ».
Quelle métaphore que cette porte fermée! Que c’est dérisoire et futile! On est tenté de s’adresser à ceux qui ont eu cette piètre initiative. Qu’avez-vous édifié pour vous permettre de gommer les symboles de la nation tunisienne?
Le palais de Carthage n’est pas la propriété des présidents de la République, ni de leur entourage. Il reste un lieu éminemment politique. La décrépitude qui s’avance irrémédiablement illustre l’état transitoire d’une société qui a perdu ses valeurs fondatrices, surtout au sein des cercles dirigeants.
Cependant les ombres ne sauraient masquer la lumière en cette période de dérive et de médiocrité, dépourvue de dirigeants dignes de ce nom.
On peut ne pas souscrire à l’historiographie bourguibienne qui veut que le régime qu’il a instauré ait résolu tous les problème de la Tunisie. Mais on ne peut pas nier qu’il fut l’un des plus éminents hommes d’État du XXème siècle et la personnalité la plus remarquable de l’histoire de Tunisie, depuis Jugurtha et Hannibal.
Sans le sens des symboles partagés, il est impossible pour un État moderne de durer et pour une Nation de préserver sa dignité.